Jamais on n'avait connu une telle émulation autour de l'islam, avec une charte de l'imam pour le CFCM, une Proclamation pour la Grande mosquée de Paris, publiées à quelques heures d'intervalle. Le bureau du Conseil français du culte musulman (CFCM), présidé par Anouar Kbibech (Marocain), a adopté mercredi une «Charte de l'imam» pour aider les mosquées à mieux lutter contre les discours radicaux et ancrer l'islam dans la République, et même dans la «patrie», terme employé. Le CFCM, instance officielle voulue par les autorités françaises pour organiser le culte musulman dans le pays, a ainsi marqué un temps d'avance. Sauf que certaines associations ou fédérations d'associations, membres du CFCM ou non, ont dénoncé cette charte. A ce sujet, Abdallah Zekri, secrétaire général du CFCM, a indiqué à El Watan que «cette charte a fait l'objet de nombreux échanges et d'un large consensus au sein du CFCM avec toutes les fédérations. Cette charte se décline entre deux volets : la charte de l'imam proprement dite et le côté religieux. La charte par elle-même a été validée, d'où le communiqué de presse, le côté religieux a été mis de côté, en attendant d'autres rencontres pour que toutes les associations puissent donner leur dernier avis. Cette polémique est une manipulation par l'UOIF (Ndlr : l'Union des organisations islamiques de France qu'on présente comme proche des Frères musulmans) qui cherche, à chaque fois qu'il y a une avancée du CFCM sur des sujets importants, à bloquer notre démarche.» M. Zekri nous rappelle que «l'UOIF n'a pas participé aux élections de 2013, donc elle n'est pas représentée ni dans le bureau du CFCM ni dans les 24 CRCM». La «Charte de l'imam» vise ceux qui ont cette charge et les associations qui les emploient. Il s'agit de mettre en avant «l'attachement des imams de France à l'islam du juste milieu et au pacte républicain». Les imams seront appelés à la signer, mais, comme l'a précisé Abdallah Zekri, secrétaire général, cela n'est pas une obligation dans un premier temps. Il y aura des expérimentations régionales, a précisé le président kbibech. Face aux «prêcheurs de la haine», et aux tenants d'un islam rigoriste, le CFCM veut ainsi marquer les esprits en écrivant noir sur blanc croire «aux valeurs universelles qui fondent notre République», au «principe de laïcité garant de la liberté de conscience et du respect de la diversité des convictions et des pratiques religieuses». L'imam doit ainsi faire preuve «en toutes circonstances de la rigueur morale, de la courtoisie et de la modération», «à prêcher un islam ouvert et tolérant». Et garder en mémoire que «Dieu qui a créé les hommes et les femmes égaux et dignes, leur a donné la liberté de choisir leurs voies et leurs convictions à l'abri de toute contrainte». Enfin, sur le dialogue interreligieux, mis à mal ces dernières années par la montée internationale du djihadisme, l'imam doit véhiculer un «discours d'estime et de respect envers nos concitoyens de toutes confessions et de toutes conviction». «La France est une terre où coexistent plusieurs religions dont l'islam» Dans le même temps, la Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP), dirigée par Dalil Boubakeur (Algérien) a également publié une proclamation, première du genre. Un petit rappel est utile pour comprendre cette dualité de prise de position simultanée. Il y a quelques mois, le gouvernement français a lancé la Fondation des œuvres de l'islam de France, présidée par Jean-Pierre Chevènement. Voulue d'abord culturelle dans un deuxième temps, elle sera doublée d'une asso-ciation cultuelle, la FOIF est notamment chargée de participer au financement du culte musulman. Si le CFCM a vu d'un bon œil cette création, Dalil Boubakeur en a claqué la porte. Il s'appuie sur la légitimité historique de la Fédération de la Grande mosquée de Paris. C'est ce que le rédacteur de la proclamation indique en préambule : «La Grande Mosquée de Paris, institution créée par une loi d'Etat, est consciente de ses responsabilités au sein de la communauté musulmane française, en termes de réflexion, d'interprétation et d'éclairement religieux. Elle sait qu'il est de son devoir d'accompagner les Français de confession musulmane sur leur chemin spirituel.» D'autre part, la FGMP récuse le terme d'islam «de» France : «La France n'est pas une terre d'islam», proclame le texte : «Elle est une terre où coexistent plusieurs religions dont l'islam, ainsi que des habitants qui sont athées ou agnostiques. Dans ce contexte, tout musulman doit évidemment respecter les valeurs et les lois de la République française… Nul musulman n'a le droit d'exiger que la France modifie ses valeurs et ses lois pour convenir à sa propre foi, tout comme nul chrétien, nul juif, nul athée, nul agnostique, n'en a le droit». On comprendra que la proclamation en vingt-cinq articles met en garde contre l'intégrisme et le fanatisme qui conduisent à des actes violents. Cela se résume dans cet article de la Proclamation qui «s'inquiète de la montée en puissance, au sein de la communauté musulmane française, d'une interprétation erronée de l'islam, reposant sur une lecture du texte sélective, partiale, et au premier degré, qui conduit à l'obscurantisme, à la pédanterie ignorante, à la misogynie, au sectarisme, et au refus des valeurs républicaines. Elle constate toutefois que les prêcheurs de cette lecture égarée de l'islam sont marginaux en France, et que les croyants qui y adhèrent sont minoritaires».