C'est tout sauf une surprise. Les dernières élections du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) pour le renouvellement de ses 25 instances régionales ont confirmé le recul de l'influence de l'Algérie sur l'Islam en France où elle compte pourtant une communauté de plus de 2000 000 de personnes. L'érosion est d'autant plus nette que le Maroc, qui lui dispute la suprématie, a renforcé sa mainmise sur le CFCM à travers le Rassemblement des Musulmans de France (RMF), une association satellite. Le RMF a en effet largement remporté les élections en raflant 30 des 41 élus du conseil d'administration de cette institution censée représenter la diversité de l'islam dans l'Hexagone. Appuyé objectivement par l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF, proche à l'origine des Frères Musulmans), autre absent du scrutin, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et de la fédération de même nom, a bien sûr eu beau jeu de relativiser la victoire marocaine en notant que la faible participation (700 mosquées sur 2200) affaiblit évidemment la représentativité et donc la crédibilité du nouveau conseil d'administration du CFCM. Toutefois, l'élection à la tête du CFCM du marocain Mohamed Moussaoui dessine en creux la faible influence du Français d'origine algérienne Dalil Boubakeur, grand perdant des élections auxquelles il n'a pas participé. En guise de consolation, la Fédération de la grande mosquée de Paris (FGMP) conserve les deux délégués au CFCM auxquels elle a droit en tant que membre fondateur de cette institution. Ces deux maroquins lui permettront de continuer à avoir encore voix au chapitre dans trois commissions importantes du Conseil : l'émission de télévision dominicale «Vivre l'Islam» diffusée sur France 2, la viande hallal et les pèlerinages à la Mecque. Fédération sous perfusion financière Avec le poste de président d'honneur du culte musulman en France, l'honneur de Dalil Boubakeur, qui a dirigé le CFCM durant deux mandats successifs, de 2003 à 2008, est peut-être sauf. Mais la seconde défaite de la FGMP depuis 2008 questionne d'avantage le rôle joué par cette fédération, soutenue à bout de bras par l'Algérie. En effet, depuis longtemps, elle est maintenue sous perfusion financière par les autorités algériennes qui ont accru récemment l'aide pécuniaire en dédiant quelques millions d'euros à la construction de la grande mosquée de Marseille, et de celles de Tours et Toulouse, villes où la FGMP est implantée. Sans oublier évidemment l'enveloppe allouée annuellement à la mosquée de Paris. Selon Abdallah Zekri, responsable régional au sud-ouest de la France de la FGMP, les chiffres ne représentent qu'une petite partie de l'assistance officielle algérienne à l'activité religieuse en France, qui «a triplé durant ces derniers mois». L'influence du recteur de la Mosquée de Paris et, derrière lui, la FGMP, est à apprécier par ailleurs à l'aune du nombre de mosquées et autres salles de prières dont la FGMP contrôle à peine une centaine sur les 2200 lieux de cultes que compte la France. De plus, certaines d'entre elles, notamment dans deux régions clés Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon n'ont pas respecté ses consignes de boycott des élections du CFCM, ce qui est un signe clair de défiance à l'égard de Dalil Boubakeur qui semble ne plus représenter que lui-même et, accessoirement, l'Algérie dont il se prévaut et réclame les chèques. Et même s'il peut toujours invoquer l'absurdité du scrutin fondé sur la superficie –1 délégué par tranche de 100 m2 quelle que soit l'affluence des fidèles —, le fils de cheikh Hamza Boubakeur a une influence proportionnelle à la taille de sa fédération où il est, d'autre part, de plus en plus contesté. Début juin, la FGMP a entretenu l'illusion en organisant à Lille un premier rassemblement européen de 1500 adhérents qui était en réalité une démonstration de force à la veille des élections du CFCM, et en présence de Halim Benatallah, chargé au gouvernement de la communauté algérienne à l'étranger. En ce jour même, le réquisitoire prononcé par Abdallah Zekri, contre la gestion de Dalil Boubakeur donne en tout cas la mesure de la contestation interne. Le responsable du Sud-ouest de la FGMP a accusé le recteur de «ne pas respecter les statuts de la fédération, de ne pas avoir concrétisé les projets sur le hallal, le pèlerinage de la Mecque, l'assurance-obsèques, les loisirs des jeunes». Même contestation au sein de la fédération du Sud-est qui dénonce à son tour une «gestion opaque», des «esprits renfermés et improductifs en haut de la pyramide, des comportements humains néfastes». Ou encore «le gaspillage financier avec des millions d'euros dilapidés dans des outils de communication sans effet». En perdant progressivement pied sur le terrain de l'Islam en France, même s'il en a gardé un, symbolique, au CFCM, Dalil Boubakeur exprime à travers son propre affaiblissement la difficulté grandissante de l'Algérie à encadrer l'islam et sa communauté en France. Les associations mises en place par les consulats ou aidées en sous-main sont peu crédibles pour y remédier. Dès lors, en l'absence de structures de mobilisation efficaces, l'Algérie, non sans risque, se place de plus en plus sur le terrain religieux. Risque d'autant plus grand qu'elle fait de la Mosquée de Paris et de son peu charismatique recteur les éléments fédérateurs de toute la communauté algérienne en France. C'est en tout cas le sens même de la présence ostentatoire de Halim Benatallah au rassemblement européen de la FGMP à Lille. Une Amicale des Algériens en Europe disparue et regrettée Depuis la suppression de l'Amicale des Algériens en Europe, erreur politique évidente, l'Algérie éprouve toutes les difficultés du monde à mobiliser les Algériens de France, encore moins les binationaux et surtout pas les Français d'origine algérienne. Contrairement au Maroc et à la Tunisie, qui y disposent toujours de relais efficaces et très anciens, qui remontent aux indépendances des deux pays. A travers le mouvement des MRE, c'est-à-dire des Marocains à l'étranger, le Maroc bénéficie de relais nombreux, notamment l'Amicale des Marocains de France (AMF), l'Association des Travailleurs et Commerçants Marocains en France (ATCMF) et l'Association des jeunes Marocains de France (AJMF). La Tunisie, pour sa part, s'appuie, entre autres, sur l'Office des Tunisiens de l'Etranger (OTE) et l'Amicale des Tunisiens en France (ATF). De tels leviers de mobilisation bien rodés qui font cruellement défaut à l'Algérie. Le volontarisme et l'activisme bien louables de Halim Attalah ont peu de chances de compenser l'absence de cadres de mobilisation en bonne et due forme. A défaut de profiter d'un tissu associatif dense qui aurait permis un maillage efficace du territoire français et qui épouserait la carte d'implantation de l'immigration algérienne en France, les pouvoirs publics algériens privilégient encore plus la carte de l'islam. Avec une certaine propension à préférer l'arme du financement, comme c'est le cas avec l'octroi de 490 000 euros pour la construction de la grande mosquée de Tours, 270 000 euros pour celle de Toulouse et, cerise sur le gâteau, 1 million d'euros pour la Grande mosquée de Marseille. Contrairement au Maroc qui préfère désormais s'adapter à la réalité européenne en général, et française en particulier. En privilégiant le lobbying et en investissant, à travers ses MRE, des institutions françaises comme le CFCM et les grandes organisations de musulmans telles l'UOIF, et surtout le Rassemblement des Musulmans de France, issu de l'ancienne Fédération des Musulmans de France (FNMF), dont le président n'est autre que Mohamed Moussaoui. Ou encore, la création du COE, le Conseil des Oulémas pour l'Europe, présenté comme un instrument d'encadrement religieux des Marocains sur le vieux continent, mais surtout comme un interlocuteur des autorités européennes quand il s'agit de la vie de l'Islam. Contrairement à l'Algérie, le Maroc a compris depuis quelques années que sa politique d'avant, limitée notamment à l'envoi d'imams pour encadrer les mosquées était aussi vaine que peu appréciée de la part des pays de résidence des MRE. D'où la réflexion sur de nouvelles formes d'influence, dont le COE est un des reflets. Alors que l'Algérie continue d'envoyer des imams dont beaucoup ne parlent pas français, souvent choisis selon des critères clientélistes, le Maroc, lui, a opté pour une nouvelle politique de recrutement d'imams et de prêcheurs, appartenant à la communauté marocaine à l'étranger et parfaitement intégrés dans les sociétés d'implantation.Alors que le Maroc adapte sa politique et ses objectifs et renforce les structures de mobilisation et les instruments de lobbying, l'Algérie investit toujours sur un recteur démonétisé. Mais aussi sur une FGMP faiblement représentative et, surtout, dépassée par l'activisme des associations sous influence marocaine, mieux implantées. Une fédération débordée d'autre part par les activistes islamistes qui recrutent de plus en plus dans les banlieues de Paris et dans d'autres villes françaises. Là même où on retrouve des populations d'origine algérienne. N. K.