L'image de ces personnages habillés avec des armures du XVIe siècle, mais fumant des cigarettes, résume très bien l'idée de l'exposition «Cervantes ou le désir de vivre», qui se tient jusqu'au 23 avril dans le hall de l'APC d'Oran. Le photographe José Manuel Navia a sillonné l'Espagne, mais aussi nombre de pays pour revisiter avec un regard contemporain les lieux où le célèbre écrivain espagnol avait séjourné durant sa vie tumultueuse. Les juxtapositions d'éléments évoquant le passé avec des images d'aujourd'hui maintiennent cet équilibre voulu par le photographe et qui vaut aussi pour la distinction qu'on peut faire entre ce qui relève de la vie réelle (ou supposée) de l'auteur de Don Quichotte et l'univers dépeint dans ses œuvres. Si photographier des moulins peut relever de l'évidence ou du cliché, il en est beaucoup moins de certaines scènes qui semblent avoir été happées au passage. C'est notamment le cas de cet artiste de rue mimant à sa façon la position d'un personnage d'un tableau classique évoquant une célèbre «sorcière» qui aurait inspiré Cervantes pour l'une de ses œuvres. Il y a beaucoup d'humour dans certaines photographies de José Manuel Navia, comme il y en avait dans la pléiade du «père du roman moderne», mais une inclination aux tons sombres semble miner le travail du premier. On pourrait comprendre par là la référence à des périodes reculées de l'Histoire, donc forcément difficiles à exhumer, mais peut-être aussi à la vision qu'on pourrait avoir de cette période qui marque la sortie des ténèbres du Moyen-Age européen. La noirceur est bien mise en évidence dans la photographie d'une rue d'Alger montrant deux personnages féminins, dont le voile, jadis blanc, est aujourd'hui d'un noir éclatant. Miguel Cervantes a bien séjourné pendant cinq ans à Alger, mais il était en captivité. «Ce n'était sans doute pas les meilleurs moments de sa vie, mais je peux dire qu'il a été marqué par cet intermède car, à cette époque-là, la ville était réellement cosmopolite et on y parlait certainement plusieurs langues», estime Gonzalo Manglano de Garay, directeur du l'institut éponyme qui a inauguré l'événement. Durant sa captivité, Cervantes avait, à plusieurs reprises, tenté de s'évader, notamment pour regagner Oran, alors sous occupation espagnole, mais en vain. Il était venu dans cette ville bien plus tard, mais son passage n'a laissé aucune trace palpable. On estime qu'il a été envoyé pour remplir une mission d'espionnage. Cette visite furtive est symbolisée par une photographie montrant un détail du vieux quartier de Sidi El Houari, le lieu où se concentrent aujourd'hui plusieurs monuments hérités de cette occupation étalée entre 1509 (pour la ville) et 1792, en comptant l'intermède de la reprise de la ville par le bey Bouchlaghem entre 1708 et 1732. Manuel Navia a également suivi les traces de Cervantes en Tunisie, au Portugal et surtout en Italie, où l'écrivain a séjourné d'abord pour étudier, mais aussi en tant que soldat. Il a participé à l'une des batailles navales (Lépante) les plus sanglantes. Un simple détail d'une mer agitée suffit au photographe pour restituer cette aventure hors du commun pour un homme de lettres. Ailleurs, la photographie d'une femme suffit à symboliser son mariage dans une localité près de Tolède, comme l'image de vastes étendues andalouses suffit à restituer son périple dans cette partie sud de l'Espagne. La région de Madrid, qui l'a vu naître et mourir, n'a également pas échappé à l'objectif du photographe, qui a eu l'idée originale de rendre hommage, quatre siècles plus tard, à l'écrivain qui a le plus marqué la littérature moderne.