Quelle idée que de baptiser son exposition par un cryptogramme : 24°3'55'N 5°3'23'E” ! En fait, il s'agit d'une localisation géodésique du dramatique épisode colonial français. Dont le nom de code déchiffre un accident nucléaire, un second essai, le 1er mai 1962, au nord de Tamanrasset. Le plasticien, photographe et graphiste Ammar Bouras, qui n'est plus à présenter, à travers la collection de photos et autres sculptures de verre 24°3'55'N 5°3'23'E”, qu'accueille la galerie Espaco à El Achour, à Alger, effectue à sa manière un travail de mémoire. De par son déclic et sa dextérité. De par des prises de vues. Des prises de positions, en fait. Car ce sont des piqûres de rappel. Contre l'oubli. Pour l'écologie. Contre la folie nucléaire. Pour une anatomie à la main verte. Aussi, Ammar Bouras est-il retourné sur cet accident mnémonique avec justesse et esthétisme. Celui de l'accident de Béryl, à In Ekker, à 150 km au nord de Tamanrasset, dans le Sahara algérien. Une catastrophe nucléaire. «L'essai de la bombe stratégique française au plutonium provoqua une profonde fissure dans la montagne. Le traumatisme géologique et environnemental qui s'en est suivi, instantané et durable, s'accompagna de celui, moins mesurable, de la souffrance humaine qui perdure jusqu'à aujourd'hui. La violence de l'acte lui-même laissera des traces indélébiles dans les mémoires individuelles et collectives, dans les corps et dans le plus fragile des écosystèmes. Elle témoigne aussi de la logique des secrets d'Etat sacrifiant l'homme, la faune et la flore et des générations. Une violence qui polluera également les rapports de force post-coloniaux autour de la nécessaire construction d'une mémoire commune…Je voulais également souligner la responsabilité des Etats, algérien et français, précise et diffuse, tout comme la vanité des hommes qui dénaturent l'espace et violent ses lois naturelles…». Que la montagne est belle ! Un flash-back daguerréotypé et numérisé immortalisant cette vacuité inhumaine (aucun humain ne figure sur les œuvres). Une interruption, un désert… Avec une omniprésence en amont. La montagne Taourirt Tan Afella, l'un des massifs granitiques de la région contaminée, dépeuplée et éparse. Du coup, Ammar Bouras démontre l'ampleur des dégâts. Malgré l'anachronisme. De par un inventaire hétéroclite. Une montagne qui ne se désincarcère pas, barbelée, un relief grillagé, de la ferraille, faussant le décor, ingrate, un vent de sable, un simoun menaçant, une route, un bitume vacant et sans destination, un oued allant à vau-l'eau, un mapping «zoomant» sur des pierres… précieuses. «A In Ekker, les treize essais nucléaires avaient pour noms de code portant sur des pierres précieuses : émeraude, rubis, saphir, beryl… Des appellations qui font rêver. J'étais à la fois choqué et étonné par cette contradiction… Un nom poétique, évocateur de bijoux qui se transforment dans la famille en héritage et l'horreur de l'acte destructeur que cette montagne a subi dans ses entrailles…». Et puis, cette texture cuivrée, cinglante et hostile s'imprimant sur l'image. Celui d'une image subliminale, de ce champignon «vénéneux» et tumescent jurant avec l'équation E = mc2.