l'artiste devant son oeuvre Dans le catalogue (Ed, Barzakh), Madame Nadira Laggoune-Aklouche qui apporte un éclairage critique pertinent sur cette expo, estime que «dans ces paysages d'une beauté douloureuse, l'esthétique côtoie le tragique». Des morceaux de fer rouillé, du fil barbelé, un ciel gris ou contrasté jurant avec la beauté minérale du lieu, mais encore des photos fragmentées comme des plans coupe d'une vidéo, mais pas que. Cette vidéo, l'artiste l'a effectivement tournée suite à ses voyages répétés et surtout en juxtaposition à la beauté du lieu où il se trouvait lors d' une résidence faite il y a quelques années dans Le Favril, dans le nord de la France, «un espace agricole, si verdoyant, tourné vers le bio et l'engagement écologique». Ironie du sort, l'artiste plasticien qui expose actuellement ses oeuvres à L'Espace d'art contemporain d'El Achour placé sous le titre «24°3'55''N 5°3'23''E» s'était en fait retrouvé dans cet endroit édénique, respirant la vie, afin d'y aborder un sujet des plus épineux et qui demeure encore un tabou chez nous, voire encore plus en France. IL s'agit d'un travail plastique qui revient sur les essais nucléaires français dans le désert algérien. «C'est le point zéro de l'accident Béryl, à In Ekker, à environ 1800 km au sud d'Alger, lors du deuxième test, sur les 13 tirs nucléaires souterrains opérés au mont Taourirt Tan-Afella, selon l'appellation targuie. L'essai de l'AN-11, première bombe stratégique française au plutonium, cause une profonde fissure dans la montagne. Le traumatisme géologique et environnemental qui s'ensuivit, instantané et durable en cette matinée du 1er mai 1962, s'accompagne de celui, moins mesurable, de la souffrance humaine qui perdure jusqu'à aujourd'hui. La violence de l'acte lui-même laissera des traces indélébiles dans les mémoires individuelles et collectives, dans les corps et dans les mémoires, et dans le plus fragile des écosystèmes», souligne Amar Bouras. Revenant sur les lieux du crime pour y immortaliser ses stigmates, ce sont ces traces transfigurées sous l'oeil avisé de l'artiste dont il s'agira dans cette expo. D'abord de nombreuses photos de grand et moyen format donnant à voir le reste des effets de ces essais nucléaires, principalement des morceaux de fer rouillé, amoncelé ici et là, comme annoncé en première instance et puis des sculptures/volumes, taillés dans du verre déclinés en une multitude de couleurs irisées. Ces sculptures font référence aux noms secrets des différents essais nucléaires, dénombrés en chiffre 13 et se référant tous à des pierres précieuses. Dans son texte de présentation l'artiste indique: «J'ai entamé la réflexion autour de ce cataclysme silencieux alors que je participais à une résidence d'artiste qui pourrait symboliser l'absolue contradiction à In Ekker: Le Favril, dans le nord de la France, un espace agricole, si verdoyant, tourné vers le bio et l'engagement écologique, terre d'accueil et de mixité, et si riche en eau... Des haies vertes d'un côté, de fantomatiques grillages ensablés de l'autre; la générosité de la graine d'un côté et l'arrogance meurtrière de l'atome de l'autre; l'eau qui donne la vie d'un côté et l'eau contaminée depuis plus de soixante ans rampant comme un serpent sous la rocaille saharienne. Deux faces de l'humanité séparées par une frontière invisible que je voulais rendre tangible en m'immergeant dans cette plaie inguérissable.» Aussi ce n'est pas pour rien si la vidéo qui est projetée aussi à l'Esapco est divisée en deux parties. Celle-ci plus qu'une confrontation visuelle de deux mondes, elle donne à voir l'absurdité de la main vaniteuse de L'homme qui «dénature l'espace et viole ses lois naturelles»en détruisant sur son passage faune et flore. En cela, Amar Bouras s'interroge sur le rôle et la responsabilité des Etats dans ce désastre écologique. En donnant à voir l'indicible horreur à travers ces images, il dessine une sorte de cartographie de cette terre désarticulée. Dans ces images segmentées qui inspirent en partie la sismologie, le spectateur aura à ressentir les vagues de variations des strates tectoniques qui, en venant de bouger, font sauter le sol, changer et charger l'atmosphère de mille particules d'atomes qui mettent à sac notre humanisme au-delà de l'environnement incertain qui nous entoure. Bien pertinent comme procédé esthétique qui au-delà du contenu qui peut être redondant, nous fait toucher du regard ce sentiment de gêne qui peut nous happer parfois en regardant trop longtemps ces images qui semblent elles-mêmes trembler en survolant les cimaises de la spacieuse galerie d'El Achour. «Fixer en quelques regards cet espace éternellement agonisant, comme le remake de nos trop nombreuses erreurs à répétition.» c'est bel et bien de cela dont il s'agit ici. Pour info, cette expo qui dure un mois, à compter du 24 mars dernier est accompagnée d'un livret/catalogue édité par Barzakh dans lequel on retrouve les images de cette expo, mais aussi des textes, notamment celui de la critique et actuelle directrice du Mama, Madame Nadira Laggoune-Aklouche qui, dans «Retracer l'invisible», évoque «le travail photographique qui tente de mettre en scène l'absence par un cadrage et une composition qui théâtralisent l'espace.» Aussi, fait-elle remarquer précédemment que «dans ces paysages d'une beauté douloureuse, l'esthétique côtoie le tragique. Indifférents, la nature, le ciel, la montagne, le soleil et la nuit bleutée jurent avec le silence assourdissant de la tragédie». Etonnant, en effet, entre cadrage presque étouffant où l'objet est scruté presque à la loupe, et paysage panoramique en vue serrée, ces objets amoncelés semblent être dévoilés presque en trois D. l'artiste Amar Bouras gagne à faire parler le hors champ de ces essais nucléaires en montrant ce qui reste comme traces et déchets de cette catastrophe écologique à travers une image sublimée. Poussant parfois le contraste jusqu'à la chosification interstellaire de son paysage, il lui insuffle quelques suppléments de poussières d'étoiles et de lumière étrange qui n'en finissent pas de vomir le monde...