Les Etats-Unis ont, pour la première fois depuis 2011, bombardé vendredi matin une base aérienne militaire syrienne. L'attaque a fait au moins neuf civils tués, plusieurs blessés et d'importants dégâts matériels. Ces frappes interviennent après une attaque chimique présumée sur la localité de Khan Cheikhoun, dans la province d'Idleb, imputée au gouvernement syrien par Washington. Cependant, Damas a démenti et dit ne plus détenir d'armes chimiques depuis 2014, date à laquelle les armes chimiques syriennes avaient été détruites en mer sous contrôle d'experts américains. Les frappes ont été menées avec «59 missiles» tomahawk vers 00h40 GMT, a précisé un responsable de la Maison-Blanche, indiquant que les Etats-Unis avaient frappé la base aérienne d'al-Chaayrate. Les missiles ont été tirés depuis les bateaux de guerre américains USS Porter et USS Ross qui se trouvent actuellement en Méditerranée orientale. Les frappes ont visé «de multiples cibles» sur la base «avions», «pistes», ou pompes à carburant, a-t-il précisé. Neuf avions de l'armée syrienne ont été «détruits» dans ces frappes américaines contre l'aérodrome d'al-Chaayrate, a affirmé hier la télévision russe, diffusant des images de la base syrienne visée. Les Russes ont été prévenus avec deux heures d'avance de l'imminence de ces bombardements. Ces frappes interviennent après un revirement spectaculaire de Washington sur le dossier syrien. Ce changement s'est confirmé jeudi avec un très net durcissement de Washington vis-à-vis de Bachar Al Assad. Au risque de se brouiller durablement avec la Russie, l'Administration Trump évoque désormais ouvertement son départ. «Le rôle d'Al Assad à l'avenir est incertain et avec les actes qu'il a perpétrés, il semblerait qu'il n'ait aucun rôle pour gouverner le peuple syrien», a déclaré Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine qui doit se rendre à Moscou ces jours-ci. Une semaine auparavant, le même Tillerson avant pourtant indiqué que le départ de Bachar al Assad n'était pas la priorité de Washington. «Le sort du président Al Assad, à long terme, sera décidé par le peuple syrien», avait-il déclaré. Ces frappes ont été décidées après que les négociations au Conseil de sécurité sur une résolution pour condamner et lancer une enquête sur l'attaque chimique de Khan Cheikhoun se soient achevées sur une impasse. L'Ire de Poutine Ainsi qu'il fallait s'y attendre, ce raid a suscité la condamnation de la Russie et de l'Iran qui l'ont considéré comme une «agression contre un Etat souverain». «Le président Poutine considère les frappes américaines contre la Syrie comme une agression contre un Etat souverain en violation des normes du droit international, (se fondant) sur des prétextes inventés», a affirmé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. «Cette action de Washington cause un préjudice considérable aux relations russo-américaines, qui sont déjà dans un état lamentable», a-t-il déclaré. «Mais surtout, comme l'estime Poutine, cette action ne nous rapproche pas de l'objectif final de la lutte contre le terrorisme international, mais dresse au contraire de sérieux obstacles pour la constitution d'une coalition internationale pour la lutte contre le terrorisme», a ajouté M. Peskov. Pour le président russe, «les frappes américaines en Syrie sont une tentative de détourner l'attention de la communauté internationale loin des nombreuses victimes civiles en Irak», où des raids aériens contre le groupe terroriste Daech à Mossoul ont tué des dizaines de civils fin mars, explique le porte-parole. «Du point de vue de Poutine, ignorer complètement les faits concernant l'usage par les terroristes d'armes chimiques aggrave considérablement la situation», a déclaré M. Peskov. La Belgique se démarque Dans la foulée de ces bombardements, la Russie a annoncé la suspension de l'accord avec Washington qui visait à empêcher des incidents entre avions des deux pays en Syrie, après les frappes américaines contre une base des forces syriennes dans la province de Homs. «La partie russe suspend le mémorandum avec les Etats-Unis sur la prévention des incidents et la sécurité des vols lors des opérations en Syrie» menées par les aviations russe et américaine, a déclaré la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, dans un communiqué. De son côté, la Chine, par la voix de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mme Hua Chunying, a appelé à «éviter toute nouvelle détérioration de la situation» en Syrie après ces frappes américaines, expliquant qu'«en relations internationales, la Chine s'oppose toujours à l'usage de la force et recommande le dialogue pour résoudre pacifiquement les conflits (...). Nous appelons ainsi à une résolution politique de la question syrienne». «L'urgence pour le moment, c'est d'éviter toute nouvelle détérioration de la situation (...). Nous espérons que toutes les parties impliquées conserveront leur calme et se garderont de toute escalade des tensions», a insisté la porte-parole de la diplomatie chinoise. Comme la Chine, l'Union européenne (UE) s'est dite aussi ne pas croire à une solution militaire au conflit syrien. «L'UE est profondément convaincue qu'il ne peut pas y avoir de solution militaire à ce conflit et est engagée en faveur de l'unité, de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance de l'Etat syrien», a affirmé hier la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini dans une déclaration au nom de l'UE. Contrairement à la France, la Grande-Bretagne, l'Arabie Saoudite et la Turquie qui ont soutenu les frappes américaines, la Belgique s'est démarquée des Etats-Unis. Le secrétaire général des Nations unies a, de son côté, appelé à la retenue et souligné qu'il n'y avait d'autre solution que celle politique à la guerre qui déchire la Syrie. «J'en appelle à la retenue pour éviter tout acte qui ajouterait encore à la souffrance du peuple syrien», a déclaré Antonio Guterres dans un communiqué. A ses yeux, «il n'y a pas d'autre voie pour mettre fin à ce conflit que celle d'une solution politique». Donald Trump poursuivra-t-il son action militaire en Syrie jusqu'à la chute de Bachar Al Assad ? De nombreux observateurs en doutent. Un des porte-parole du Pentagone, le capitaine de vaisseau Jeff Davis, a d'ailleurs laissé entendre que la frappe n'avait pas vocation à être répétée. «Il s'agissait d'une réponse proportionnée» à l'attaque de Khan Cheikhoun, destinée à «dissuader le régime d'utiliser des armes chimiques à nouveau», a-t-il indiqué. Autrement dit, il est possible que le bombardement américain d'hier matin corresponde plus à des calculs de politique interne.