Ne vous fiez pas au titre. De Madagascar, il ne s'agit que du territoire de l'Ambassade de ce pays à Alger, tandis que la capitale de l'Algérie est le vrai cœur du sujet, sorte de déambulations en images et de réflexions en off pour la bande son. Le documentaire en forme d'essai, à l'écriture aux lisières du cinéma expérimental est l'œuvre totale de Franssou Prenant qui a tout assumé : scénario, réalisation, image, montage et même le son avec deux collaborateurs ! Ce film, sorti en mars au cinéma Le Reflet Médicis de Paris, et diffusé actuellement dans plusieurs salles en France, brille tout d'abord par son originalité pour «écrire» des fragments de mémoire et de vie dans un Alger d'hier et d'aujourd'hui. La réalisatrice, Franssou Prenant, a passé son enfance dans cette ville avant de revenir y vivre une dizaine d'années lorsqu'elle fut la compagne de l'Ambassadeur de Madagascar, lequel fut déchu et devint réfugié, comme l'étaient nombre de représentants de mouvements de libération quand Alger était la marque du tiers monde. Ecoutons d'abord Franssou raconter la genèse du projet : «J'avais pour ami à Alger le directeur historique (mais pas fondateur) de la Cinémathèque algérienne, Boudjemaa Kareche. Dans la cour de sa maison sur la mer, au dessus des rochers, se tenaient les week-ends des sardinades bien animées où venait tout ce que comptait Alger et sa banlieue, Paris, de cinéastes algériens. Dans un grand brouhaha, tout le monde parlait de tout, avec humour et liberté. J'avais eu l'idée d'enregistrer ces conversations chaotiques, décousues mais riches, et de les monter avec des images que j'aurais tournées en super 8 dans Alger». Boudjemaa viré, les sardinades espacées, Franssou Prenant va profiter d'une autorisation de tournage en 2009 pour le second Festival Panafricain pour filmer et emmagasiner des images d'Alger qui vont former le corps et la trame du documentaire actuel (1 h 42). Le dispositif originel est donc réadapté et le tournage sur Alger se poursuit en 2010, en vidéo cette fois. Le titre lui apparaît d'autant plus évident qu'elle établit un rapport de similitude entre les répressions coloniales à Madagascar et en Algérie. Les images se recoupent en trois temps : début des années 2000 en super 8, celles de 2009/2010 en vidéo et images d'archives en 8 mm faites par son père en 1965. L'universitaire René Schérer parle à juste titre d'une «anamnèse cinématographique qui évite la complaisance narcissique pour laisser place à l'agitation des rues, la foule grouillante des marchés, les courses et les jeux d'enfants, les haltes des terrasses de bistrots». La construction filmique se résume donc à une polyphonie d'images «surmontées» d'une bande son, on ne voit jamais le visage des intervenants, lesquels, alors que les voix se chevauchent, dialoguent en continu et réfléchissent, brassant une foison de thèmes qui embrassent plusieurs périodes, telle la décennie noire et les rencontres amoureuses frappées des sempiternels tabous sociaux. Une œuvre assurément originale.