«Le cinéma, notre baril de pétrole!» s'est écrié le directeur de la Cinémathèque algérienne lors d'un point de presse. Boudjemaâ Karèche, directeur de la Cinémathèque algérienne a animé, lundi dernier, à l'hôtel Sheraton Club des Pins, une conférence de presse sur initiative du club Alger Doyen du Rotary International, Regardez le film pour sauvegarder le cinéma tel est le principe de Boudjemaâ Karèche. Ce dernier, qui s'est dit «honoré» par cette sollicitation, est venu partager avec nous sa passion pour le cinéma, a indiqué Mohamed Antri Bouzar, le président d'Alger doyen lors de son allocution d'ouverture. «Bien sûr, j'aurai aimé qu'on soit en ce moment à la cinémathèque où est programmé le film Little Senegal» confie Boudjemaâ Karèche d'emblée qui fera un état des lieux du cinéma en Algérie. «C'est une catastrophe. Nous sommes à l'état zéro de la cinématographie. La responsabilité est partagée par tous, y compris par moi. C'est quoi le cinéma», se demande-t-il. C'est un réalisateur pour faire un bon et magnifique film et un spectateur pour le voir». Pour ce faire, dit-il, il faut beaucoup de fric, surtout dans un pays comme le nôtre. Malheureusement, beaucoup de responsables se bouchent les oreilles lorsqu'on parle d'argent», avoue-t-il blasé. Et de lâcher: «Les salles sont devenues des gourbis! Cependant, lorsque le réalisateur et le spectateur sont là, le cycle vertueux commence à tourner, comme on dit en économie». M.Boudjemaâ Karèche cite le titre d'un film qui a fait les années de gloire du cinéma algérien à l'époque: Chronique des années de braise, palme d'or à Cannes en 1975. Une date marquante dans l'histoire du cinéma national. «1975 en Algérie, c'était 45 millions de spectateurs dans un pays qui possédait 400 salles de cinéma à travers le pays. C'était également le FDATIC (Fonds d'aide au développement de l'industrie cinématographique) où l'argent de l'achat d'un ticket par un spectateur était versé à ce compte au profit du cinéma et servait notamment à la rénovation du parc des salles. Ce qui n'est plus le cas depuis 10 ans», déplore-t-il. Pour lui, le cinéma, c'est compliqué et difficile. Il faut des gens qui aiment donc ça. «Le passage de l'économie administrée à l'économie de marché a compliqué les choses», estime-t-il. «On est dans cette situation où plus rien ne se tourne». Et de citer le cas de Sid Ali Kouiret, grand comédien algérien qui s'est distingué il y a quelques années en jouant outre-mer dans la fameuse série La famille Ramdam. «Sid Ali Kouiret est une star. Le public est avec lui. Pourtant, il ne tourne plus depuis 20 ans!» Du pur gâchis en somme. Abordant le chapitre des salles prises en charge par des gestionnaires privés et «qui ne doivent pas changer de vocation selon la loi», M.Boudjemaâ Karèche dira qu'on y passe des K7 vidéo, sans conditions de sécurité, ni d'hygiène faisant sienne la phrase du célèbre cinéaste et écrivain africain, Sembel Ousman, Le cinéma, mon école du soir, le directeur de la cinémathèque se rappelle que lorsqu'il travaillait, à ses débuts, tous les policiers du coin venaient s'enquérir du visa d'exploitation du film. «Plus maintenant, on diffuse sans contrôle». Loin d'être pessimiste, Boudjemaâ Karèche dira voir des signes positifs quant à l'amélioration de la situation du cinéma en Algérie. Cela se traduit, selon lui, par l'ouverture des trois salles à savoir El Mougar, l'ABC et l'Algéria. M.Karèche déplore cependant la cherté des tickets d'entrée. «Des prix exorbitants à 200 DA la place!» et d'ajouter «ce qui est encore triste, c'est qu'il n'y eu aucune publicité faite pour annoncer le programme». Restant optimiste et confiant en l'avenir, il avoue être enthousiaste. «Si elles existent, le film finira par arriver et le public aussi». Pas pour tout de suite, semblait-il sous-entendre puisque «les salles appartiennent toujours aux APC. C'est l'idée des législateurs des années 60», confie-t-il. Remontant dans le temps, à la période de la naissance de l'Etat algérien, M.Boudjemaâ fera référence au mode de fonctionnement des APC et des APW «pour qu'elles fonctionnent, on leur donnait les recettes des stades et des cinémas. Plus maintenant. Aussi, jadis, les salles, explique-t-il, étaient gérées de façon familiale par des pieds-noirs. Ils arrivaient à s'en sortir. Aujourd'hui, les gens gèrent les salles de cinéma avec la mentalité de fonctionnaire sans se soucier combien de spectateurs il y a dans la salle. Un président d'APC n'arrive pas à sortir, à rénover la salle. Pour ce faire, il faut l'aide de l'Etat, y compris dans la production», souligne le directeur de la cinémathèque algérienne sans manquer de préciser qu'il n'y a qu'un seul film qui a été subventionné en partie par l'Etat, le seul depuis plusieurs années, La voisine de Ghaouti Bendedouche. S'agissant du volet distribution, Boudjemaâ Karèche impute la rareté des films achetés et copiés à quelques exemplaires, (2 à 4 copies) à la cherté de leurs droits d'importation. «Les jeunes préfèrent acheter à moindre frais», explique-t-il. «Si Lakhdar Hamina a obtenu sa palme d'or, c'est parce que Boumediene lui avait donné beaucoup d'argent», estime-t-il. Abordant le nombre de films algériens ayant bénéficié de soutien financier de la part du commissariat chargé de l'Année de l'Algérie en France, M.Karèche dira brièvement que «10 films vont se faire difficilement» et d'engager la suite de sa communication sur les trois sociétés d'Etat liquidées, à savoir le CAAIC, l'ENPA et l'ANAF et leur matériel qui se trouve scellé depuis 4 ans. «Ces sociétés ont disparu, le ministre de la Culture est chargé de les vendre», indique-t-il. «Entre-temps, Bachir Derais, nous informe-t-on, loue son matériel en Belgique en devises, et de s'exclamer, alors que nous avons ce matériel, Dieu sait ce qu'il en est advenu!». Revenant à de meilleurs sentiments, M.Boudjemaâ Karèche fera remarquer que «certains cinéastes algériens ont fantastiques. Idem pour les comédiens et les techniciens sur le dos desquels le cinéma s'est construit. Tant que ces personnes existent, il y a de l'espoir», confie-t-il. Evoquant le rôle de la télévision, celle-ci doit être, selon lui, en étroite corrélation avec le cinéma «sans télé, il ne peut y avoir de cinéma et vice-versa. Elle doit aussi coproduire des films comme cela se passe à l'étranger», indique-t-il. Même si le secteur cinématographique connaît un tas de problèmes chez nous, il reste que pour Boudjemaâ Karèche, le «cinéma, c'est la beauté». Une idée que personne ne pourra lui enlever.