Le démocrate John Kerry prend des longueurs d'avance sur le républicain George Bush. Le rival de l'actuel locataire de la Maison-Blanche sort, d'après les observateurs, avec un léger avantage sûr au lendemain du traditionnel débat télévisé, le premier de trois, consacré aux questions internationales, animé par Jim Lehrer, journaliste à la chaîne publique PBS et retransmis à partir de l'université de Miami (Floride, Etat dirigé par le frère de Bush). D'après les networks CNN, CBS et ABC, Kerry est sorti vainqueur du débat. Au QG de campagne Kerry-Edwards (candidat à la vice-présidence), le mot est lancé : « Thursday night's debate was a decisive victory for John Kerry because America saw him as our next president (le débat du jeudi soir a été une victoire décisive pour John Kerry parce que l'Amérique l'a vu comme notre futur Président). » Le sénateur du Massachusetts a montré, d'après ses partisans, de la force et de la conviction face à un Bush « qui a échoué à se défendre ». Et il fallait s'attendre à ce que le dossier de l'Irak, et sa gestion par l'Administration républicaine, soit la meilleure arme d'attaque pour Kerry. C'est simple, le sénateur démocrate a lancé un terrible verdict : « Ce Président a commis, je regrette de le dire, une colossale erreur de jugement. Et le jugement est ce qu'on attend du président des Etats-Unis. » Bush, qui s'est moqué ces dernières semaines des positions instables de Kerry sur l'Irak, s'est retrouvé comme incapable d'expliquer pourquoi l'offensive anti-Irak et anti-Afghanistan, planifiée après les attentats du 11 septembre 2001, n'a pas abouti à la neutralisation de Oussama Ben Laden et du mollah Omar. Kerry a dit que les forces américaines n'ont pas été « utilisées » pour atteindre ce but. Pourquoi avoir attaqué et occupé l'Afghanistan ? Approfondissant l'analyse, et mettant à nu l'échec de son rival, Kerry a accusé le président sortant d'avoir « vidé » le front antiterroriste. La réplique de Bush, qui est apparu sous les traits d'un homme sur la défensive, est que le monde est devenu « plus sûr » depuis la destitution de Saddam. « La commission sur le 11 septembre a confirmé qu'il n'y avait pas de lien entre les attentats du 11 septembre et Saddam Hussein (...) Saddam Hussein ne nous pas attaqués », a remarqué Kerry. Des remarques qui risquent de laisser des traces parmi les familles qui ont des enfants engagés parmi les troupes en Irak. Surtout que Kerry a directement interpellé ces familles en leur lançant : « Vous voulez savoir qui est le plus capable d'être le commandant en chef, de ramener vos enfants à la maison, de mener le travail à bien et de gagner la paix ? » Mis dans la situation de celui qui se justifie, le Président sortant a déclaré qu'il était difficile d'engager des soldats. « Je n'ai jamais voulu le faire (...) Mais l'ennemi nous a attaqués (...) et j'ai le devoir solennel de protéger le peuple américain », a dit Bush. Kerry a annoncé avoir « un plan » pour l'Irak. « J'ai un projet pour l'Irak. Je crois que nous pouvons l'emporter. Je ne parle pas de quitter l'Irak. Je parle de victoire. Et nous avons besoin de repartir du bon pied, une nouvelle crédibilité, un Président qui peut amener les alliés à nos côtés », a-t-il dit. Et, bien entendu, puisque la campagne bat son plein, Kerry ne peut pas décrire la forme que prendra « la victoire » promise. « Je crois que nous sommes plus forts quand nous prenons la direction du monde et bâtissons des alliances fortes », a-t-il dit. Jouant sur la désormais traditionnelle carte de la peur, Bush a déclaré qu'il ne remettra « jamais » la sécurité des Etats-Unis entre les mains des dirigeants d'autres pays. Saisissant l'allusion de son rival, Kerry a lancé une pique mortelle : « L'avenir appartient à la liberté, pas à la peur. » Depuis des mois, la campagne Bush-Cheney est bâtie sur le thème de la menace qui pèse sur l'Amérique. Face à son concurrent démocrate, qui aspire à « faire l'histoire » (make history) avec ses partisans, Bush a eu cette phrase qui cache mal un certain égocentrisme, presque naturel chez la droite républicaine : « Je crois que je vais gagner parce que les Américains savent que je sais diriger. » D'ici le 2 novembre, date de l'élection, les Américains seront fixés, et le monde avec.