Pr : Mohammed Ould Si Kadour El Korso Professeur associé d'histoire à l'Université d'Alger La «Guerre d'Algérie» est encore une fois l'invitée obligée à l'élection présidentielle française d'avril-mai 2017. Cet objet d'histoire, qui tel un fantôme refait surface à chaque événement majeur de la vie politique en France, n'en finit pas de diviser la France et les Français depuis voilà près de six décennies. C'est comme si l'ombre de l'indépendance de l'Algérie hantait la Maison France depuis le 3 juillet 1962. Mais où est le problème ? La France n'a pas intégré ce changement qui a bouleversé son présent et son futur. Elle est malade de sa colonie. Elle n'arrive pas à s'en défaire. Elle traîne ce passé comme un boulet. N'en déplaise aux revanchards, aux opportunistes et aux frileux de tous bords, la colonisation française est un crime contre l'humanité. Les faits l'attestent, les rapports des officiels militaires et politiques le confirment, les mémoires des acteurs en sont une autre preuve irréfutable. Des avancées timides en matière de reconnaissance de cet état de fait ont été enregistrées. Elles sont néanmoins significatives et préfigurent d'une fin prochaine d'un statu quo qui hypothèque l'avenir des relations entre l'Algérie et la France. Il y a eu d'abord la loi d'octobre 1999 par laquelle le Parlement français en revisitant la propre histoire de son pays, a reconnu un fait contesté depuis des décennies. Dans nul autre pays, les «opérations de maintien de l'ordre» n'ont mobilisé «1,7 million de Français et fait [parmi ses propres enfants] 24 000 tués et 60 000 blessés» (Libération, 10.6.1999). Après les reconnaissances en demi-teinte des crimes commis par la France en Algérie, présentés comme un solde mémoriel définitif entre la force occupante et le pays martyr lors des différents visites d'Etat en Algérie des présidents français, voilà qu'un jeune candidat à l'élection présidentielle française, en l'occurrence Emmanuel Macron, brise un tabou, provoquant ainsi un véritable tsunami mémoriel, politique et médiatique. Et pourtant, il n'a fait que dire avec lucidité, courage et sang-froid une réalité historique inscrite dans les annales mêmes de la France coloniale. Souvenons-nous qu'au moment où de rares esprits éclairés et libérés reconnaissaient dès le 2 novembre 1954 le droit de l'Algérie à sa liberté et son indépendance, d'autres le lui déniaient. La candidate de l'extrême droite, Marine Le Pen, celui de la droite et du centre, François Fillon, ainsi que le courant socialiste frileux ont trouvé là du pain béni. Ils ne se sont pas privés de «casser du Macron» qui a reçu des volées de bois vert. Cela fait partie des batailles politiques où tous les coups sont permis, même les plus bas. Mais tourner le dos impunément à l'Histoire (avec un grand H) qui dans sa recherche inexorable de la vérité finira un jour par rendre sa sentence, n'est pas une solution et ne procède nullement d'une analyse politique à long terme. Macron, sur lequel se concentrent toutes les attaques et qui en essuiera d'autres encore plus virulentes, plus perverses, plus hypocrites, plus hideuses à la suite de sa déclaration d'Alger du 14 février, a d'ores et déjà inscrit son nom dans le Livre d'or de la nouvelle Histoire anticoloniale en marche. Peu importe pour nous autres anciens peuples colonisés qu'il soit ou pas le 8e président de la Ve République française. Bien sûr que nous croisons nos doigts pour sa victoire, mais le fait est là, il a semé la bonne graine dans le sillon de l'Histoire qui ne s'accommode pas des contrevérités, aussi têtues soient-elles. C'est alors que «la faille à l'âme» creusée par la Révolution algérienne qui gangrène la mémoire française s'estompera progressivement pour rendre honneur aux fils de la France morts aux djebels pour une cause qui n'était pas la leur et à tous ceux et toutes celles qui ont été embrigadés par les hordes de l'OAS et désabusés par le mirage de l'Algérie française. Plus que tout autre, cette mémoire-là a besoin de panser ses maux, de se réconcilier avec elle-même en se rendant à l'évidence que l'Algérie n'était pas la France et que le peuple algérien, comme le peuple français, face à l'occupation SS en juin 1940, se devait de prendre son destin en main en payant le prix le plus fort pour sa liberté. Du point de vue de la nouvelle Histoire anticoloniale, Emmanuel Macron peut être considéré comme le grand architecte de cette avancée historique qui englobe les souffrances et sacrifices endurés par les peuples de toutes les anciennes colonies françaises et pas uniquement de l'Algérie. M. O. S. K. E. K.