img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P170325-06.jpg" alt=""C'est la realpolitik qui prévaudra"" / Le professeur Belaïd Abane revient dans cette interview sur les déclarations d'Emmanuel Macron, candidat à l'élection présidentielle française, concernant la colonisation et évalue les retombées de son éventuelle élection sur les relations algéro-françaises et précise que «c'est le statu quo qui prévaudra si Macron est élu». L'Expression: Lors de sa visite en Algérie, en février dernier, Emmanuel Macron, candidat à l'élection présidentielle française d'avril prochain, avait déclaré que «la colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie». Comment interprétez-vous ces propos? Belaïd Abane: Depuis Giscard d'Estaing, les présidents français ont besoin ou ont eu besoin pour leur élection, de l'onction algérienne. L'explication est que l'Algérie est un pays qui jouit d'un grand prestige international, mais aussi et surtout d'une unité de style en matière diplomatique et ce depuis les temps révolutionnaires. Pour un candidat à la présidentielle française, aller en Algérie est une plus-value pour la stature internationale. Il y a également que l'électorat français d'origine algérienne est très sensible à la qualité des relations franco-algériennes. Il y a enfin l'intérêt à soigner la qualité des relations économiques avec une Algérie solvable et insatiable de développement économique. La déclaration de Macron qui n'en a pas mesuré tout l'impact politique dans l'opinion et la classe politique française, répond à un désir frustré de l'opinion algérienne d'entendre la France reconnaître officiellement ses crimes en Algérie durant la période coloniale et la guerre de libération. Mais Macron vise également un électorat français d'origine algérienne qui se sent quelque peu en porte-à-faux par rapport à l'histoire française officielle de la colonisation. La réaction indignée de la classe politique française en phase avec son opinion montre qu'on peut perdre d'un côté ce qu'on a gagné de l'autre. Mais la politique c'est aussi le risque calculé. Le même candidat avait déclaré au magazine «Le Point» en octobre dernier: «Alors oui, en Algérie il y a eu la torture, mais aussi l'émergence d'un Etat, de richesses, de classes moyennes, c'est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie.» N'y voyez-vous pas un discours à la carte? Là il s'agit de la doxa officielle que partagent la gauche et la droite française. Ceux qui tiennent ce genre de discours ne connaissent pas la réalité coloniale. Il y avait certes une Algérie de «civilisation», de «richesses» de «progrès sanitaire et social» comme le répètent à l'envie les laudateurs de la colonisation. Mais cette Algérie c'est celle des colons et des Petits Blancs. Ce qu'on appelait la masse indigène vivait dans une autre Algérie, celle de la misère, de l'écrasement et du Code de l'indigénat. Le mot de Ferhat Abbas est très significatif de ce quiproquo de civilisation: «Peu m'importe qu'il y ait de l'électricité dans la maison si cette maison n'est pas la mienne.» Les propos de Macron à la carte bien sûr, sont destinés à séduire un électorat de droite pour qui la République peut certes commettre des erreurs mais demeure irréprochable sur le fond. Quelle sera la marge de manoeuvre d'Emmanuel Macron s'il venait à être élu président et surtout quelles seront les retombées de son élection sur les rapports algéro-français, notamment sur le plan de la mémoire? Vous avez raison de parler au conditionnel car l'élection n'est pas encore faite même si la cause est entendue dans les sondages. Quel que soit le président qui sera élu, il devra faire face à un pays difficile à réformer car la France est un pays de corporatismes forts et chauvins, et d'acquis sociaux sacrés aux yeux de la grande majorité des Français. Il est évident que le projet de Macron est celui d'une libéralisation à l'anglo-saxonne qui cache certes son nom par quelques mesures sociales, notamment la suppression de la taxe d'habitation pour les bas et moyens revenus. Le libéralisme version «tubérisation» posera problème aux Français. Par ailleurs il sera difficile à Macron de faire passer un projet où n'apparaissent nettement ni les marqueurs de gauche ni ceux de droite. Il est vrai que Marine Le Pen arrive à concilier avec brio les revendications de la gauche sociale et les valeurs nationales de la droite. Mais n'est pas Marine Le Pen qui veut. A supposer qu'Emmanuel Macron soit élu, sa marge de manoeuvre sera très étroite. Il va devoir donner satisfaction aux milieux de la finance qui l'ont quoi qu'on dise porté à bout de bras. Pourrait-il en même temps oeuvrer pour le progrès social dans une société en proie au chômage de masse et à la pauvreté galopante dans un contexte de crise économique mondiale très défavorable à l'Occident en général et à l'Europe en particulier? Concernant les rapports algéro-français, c'est la realpolitik qui prévaudra encore. Côté algérien bien sûr car la situation économique est fragile et risque de l'être encore plus dans les mois et les années à venir. On ne peut donc que composer avec un partenaire français qui lui aussi ne peut se passer du marché algérien d'autant que les liens entre les deux pays, notamment sur le plan démographique, se densifient de plus en plus. La question de la mémoire obéit au même paradigme. On sait que le problème de la repentance est avant tout une question de rapports de force entre deux nations. Il y a donc fort à parier que c'est le statu quo qui prévaudra si Macron est élu d'autant que la levée de boucliers suscitée par ses propos de février en Algérie l' a obligé à rapidement rétropédaler. La force de certains lobbies de la mémoire fera que rien ne bougera dans les relations mémorielles entre l'Algérie et la France dans les deux prochaines décennies. Du reste pour l'Algérie, il y a plus urgent: faire face à la crise économique dans un contexte délicat de transition politique inéluctable.