Il a suffi d'une déclaration — certes audacieuse et à raison — pour déclencher en France une «guerre» sur la guerre d'Algérie et l'histoire coloniale. Les propos du candidat à la présidentielle française, Emmanuel Macron, assumant ouvertement que la colonisation était un «crime contre l'humanité» ont provoqué une levée de boucliers à droite et à l'extrême droite. Un emballement général. Ils ont entraîné une vive polémique politico-médiatique qui électrise une campagne électorale déjà impétueuse. Les nostalgiques de «l'Algérie française» rameutent leurs séides. Le Front national accuse Macron d'être un candidat de la «repentance», pendant que le candidat des républicains, François Fillon, dénonce une «détestation de notre histoire, cette repentance permanente est indigne d'un candidat à la présidence de la République». Et les médias convoquent les historiens pour dire l'histoire politique. La polémique s'installe au cœur de la campagne présidentielle et Macron est soumis à une forte pression politique, mais surtout sommé de s'expliquer. Une guerre mémorielle franco-française enfouie qui refait surface à la moindre déclaration publique révèle inlassablement les implications historiques de l'indépendance de l'Algérie. Une indépendance qui a précipité la chute de l'empire colonial qu'une partie des élites politiques et intellectuelles parisiennes ont tue. Vues d'Algérie, les réactions vives de la droite et de l'extrême droite françaises ne sont pas une surprise. Elles révèlent «la puissance du déni français, signalé en particulier par Benjamin Stora, et marquent, au-delà même des considérations électoralistes prégnantes, le caractère durable et profond de l'entreprise coloniale en Algérie dans l'imaginaire et la culture français qu'avait tenté de formaliser la loi de février 2005 sur ‘‘les bienfaits de la colonisation''», analyse le professeur de l'université de Constantine, Abdelmadjid Merdaci. La levée de boucliers est «attendue dans les rangs des droites françaises — il est de plus en plus difficile de distinguer le FN des Républicains — et la montée au créneau des médias français, particulièrement des chaînes d'information continue», ajoute encore le professeur Merdaci. Ce dernier charge les élites françaises «rétives quant au fond à l'indépendance algérienne, qui s'interdisent de nommer, de reconnaître la dimension criminelle de l'Etat français en Algérie». Cependant, le professeur Merdaci estime que «sur ce contentieux historique, la République française a objectivement été protégée par le choix de la modération du régime algérien, mais ses élites dirigeantes devraient en tirer les enseignements, comme le fait, semble-t-il, Emmanuel Macron». Il est vrai que le candidat Macron — pourtant moins attendu sur le sujet colonial — est l'homme politique français qui est allé très loin dans la nomination et la qualification des crimes commis durant la période coloniale. «C'est une déclaration qui fera date dans le dossier mémoriel très controversé entre l'Algérie et la France. Cette déclaration courageuse et téméraire répond à une demande de nombreuses fois formulée par la Fondation du 8 mai 45 et la société civile», réagit le professeur d'histoire à l'université d'Alger, Mohamed El Korso. Ce dernier juge que Macron a «placé la barre très haut en parlant de crime commis par la France coloniale en Algérie». Il estime que même le «puissant Chirac, ami de l'Algérie, encore moins celui qui avait tenu un discours d'ouverture, je veux parler de François Hollande, l'un et l'autre amis de notre président de la République, n'ont pas osé aller très loin.» Mais quel sens donner alors à cette déclaration venue d'un homme politique qui au demeurant n'était pas attendu en Algérie du fait que même Macron n'était pas connu pour être un adepte de la question mémorielle ? «Pour en saisir toute la portée et son sens réel, il faut la placer dans son contexte. Elle est au cœur de la campagne présidentielle, et de ce fait elle est une carte électorale parmi tant d'autres où tout est permis. Sauf que ce qui est permis ne sert pas toujours la cause défendue, à savoir l'apaisement et le rapprochement des mémoires. N'oublions pas que ce même Macron a fait une déclaration fin 2016 où il remettait au goût du jour la mission civilisatrice de la France qui serait à l'origine du développement économique, social et culturel», nuance Mohamed El Korso. Ce dernier, connu pour son engagement intellectuel sur la question de l'histoire, tout en prenant acte des déclarations du candidat à la présidentielle française, le met au défi. «Si, par hasard, Macron venait à être porté à la présidence de la République française, donnerait-il corps à ses déclarations algériennes», l'invite-t-il. Le tsunami mémoriel provoqué par Emmanuel Macron en «re-posant» vivement la question coloniale met la France face à son passé. Cependant, du côté algérien, le débat sur l'histoire coloniale et la guerre d'Algérie est verrouillé. Le récit national officiel passe sous silence des faits historiques, il empêche de produire un discours propre, scientifique et fiable sur l'histoire contemporaine. Les élites politiques et intellectuelles dans leur majorité se placent sur le terrain de la réaction à tout ce qui se fait et s'élabore en France. Un énorme déficit mémoriel à combler et qui devra commencer par donner toute la liberté nécessaire aux chercheurs et aux historiens, les mieux à même d'écrire une histoire débarrassée d'un récit fantasmé et falsificateur.