Près de 15 millions d'Algériens, 14 723146 plus exactement, inscrits sur le fichier électoral, ont préféré ne pas aller glisser un bulletin de vote dans l'urne. Soit 61,75% du corps électoral. Le score de l'abstention est ahurissant. Si on lui additionne le nombre des votes blancs — d'ailleurs, il est curieux que le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales ne l'ait pas évoqué hier lors de l'annonce des résultats —, le chiffre global des suffrages non exprimés sera encore plus important. Le rejet de ceux qui président aux destinées du pays depuis des années est on ne peut plus clair. Il est significatif, clair et irréversible. Les peurs agitées par les partis du pouvoir et des responsables de l'Etat pour mobiliser les Algériens n'ont pas fonctionné. Ni la menace sur la stabilité du pays brandie par les partisans du statu quo, encore moins les promesses d'un gouvernement de redresser un pays en crise après tant d'années d'échecs, n'ont pesé dans la balance pour une forte participation. Il est vrai que ce n'est pas la première fois que cette dernière est au plus bas, les élections législatives de 2007 étaient presque au même taux, mais c'est la première fois qu'elle prend une signification aussi pertinente, puisqu'elle intervient dans un contexte bien particulier. Difficile de faire des lectures exactes, tant qu'il est impossible de situer les catégories sociales qui n'ont pas voté. Et, bien sûr, devant l'absence d'instituts de sondage, de mécanismes à même de vérifier les statistiques électorales et la sociologie qui s'y dégage, seul le pouvoir est maître des chiffres. Mais quoi qu'il fasse en banalisant son échec de faire adhérer les Algériens à une élection qu'il a pris soin de fermer en amont, le régime ne peut que constater son rejet sans appel par les Algériens. Il a dû en observer et surtout en faire une exacte mesure de la contestation qui bouillonne dans la société. Il en connaît sûrement la portée, même si ce qui l'intéresse pour l'heure c'est sa propre survie et sa propre perpétuation. Il a réussi à gagner une manche lors du scrutin de jeudi dernier. Il a réussi en partageant l'échec avec les partis de l'opposition qui ont pris part à l'élection. Les maigres résultats que ces derniers ont récoltés montrent à quel point ils ont mis en cause leur crédibilité. Non seulement ils ont échoué, de leur côté, à mobiliser les Algériens autour de leurs propositions et de leurs programmes, mais ils ont été aussi incapables de préserver les gisements électoraux qui étaient les leurs. Quoi qu'on dise sur la manière dont les élections législatives se sont déroulées et les irrégularités qui pouvaient bien les entacher, la classe politique ne peut que faire le constat douloureux de son propre échec, et cela sur un double plan. D'un côté, les partis de l'opposition n'ont pas assuré leur ancrage, leur audience a même terriblement reculé, et, de l'autre, le fait qu'ils soient tombés naïvement dans le piège de donner de la légitimité à une élection qu'ils savaient jouée d'avance. Même si l'on peut leur accorder des circonstances atténuantes du fait des entraves qui empêchent la libre pratique politique, leur responsabilité n'est pas moins engagée que celle du pouvoir qui a tué le politique dans le pays. Les Algériens, malgré le matraquage médiatique sur leur nécessaire participation et l'agitation du spectre des menaces multiples sur la sécurité du pays, les ont renvoyés dos à dos. Cependant, nul ne peut pronostiquer sur l'expression effective qui va être celle des 15 millions d'abstentionnistes dans les prochains mois, mais une chose est sûre : encore une fois, le Parlement sorti du scrutin du 4 mai 2017 n'aura pas la légitimité nécessaire pour légiférer au nom du peuple algérien.