À la veille des élections législatives, Liberté a sollicité un panel de personnalités de la société civile, de la culture, du secteur économique et des médias pour avoir leur point de vue sur cette consultation de laquelle sortira la prochaine Assemblée. Certains ont bien voulu nous répondre et nous les en remercions, d'autres ont préféré ne pas faire de déclarations considérant que le vote reste un acte personnel. Nous livrons, brut de décoffrage, les avis de ces personnalités, considérées comme des relais d'opinion. Avis des représentants de la société civile. Mohand Berkouk, directeur du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS) : “C'est un vote pour la patrie” Les élections législatives sont décisives pour l'avenir du pays. Je vais voter pour trois raisons. D'abord, pour exercer un droit citoyen. Ensuite, pour participer au développement d'une nouvelle légitimité démocratique, nécessaire à la fondation d'une nouvelle République en Algérie. Enfin, pour consolider la stabilité institutionnelle et politique de l'Etat algérien. Je vous rappelle que c'est un vote pour la patrie et non pas pour les partis politiques. Ce sont là mes convictions républicaines et démocratiques les plus profondes. Hassiba Cherabta, présidente de l'Association pour l'aide, la recherche et le perfectionnement en psychologie (Sarp) : “J'ai perdu confiance en nos politiciens” Je ne vais pas voter pour ces personnes qui courent dans tous les sens et utilisent tous les moyens pour avoir une place au Parlement. Il y a parmi eux des candidats que nous ne connaissons pas, qui n'ont rien prouvé ni montré à notre peuple qu'ils méritent cette place. Mais, il y a parmi eux des candidats qu'on connait trop bien, pour ne pas leur faire confiance : ils ont l'habitude de renier tous les principes justes pour qu'ils soient élus. J'ai perdu confiance en nos politiciens. Ces derniers ont eu plusieurs occasions pour porter le changement pacifique et attendu depuis des décennies, mais ils ne l'ont pas fait et nous ont déçus. C'est à cause d'eux que ce changement si espéré ne s'est pas manifesté. Nous avons vieilli et l'espoir de vivre dans une autre Algérie, une Algérie démocratique, s'est évaporé. C'est pour cette raison que je ne vais pas voter. Aucun candidat ne m'a convaincue que le changement sera possible avec lui ou avec son parti. Donc, je ne peux pas voter pour quelqu'un qui ne me convient pas ou que je ne crois pas honnête ou capable de porter un projet national politique, social ou culturel. Djilali Hadjadj, porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) : “Ne pas fauter contre la République !” Peut-on raisonnablement voter dans un contexte liberticide, où le pouvoir emprisonne à tour de bras des militants de la liberté, des syndicalistes autonomes, des jeunes chômeurs, des internautes, des vendeurs à la sauvette, même en pleine période des élections ? Peut-on raisonnablement aller voter quand le pouvoir interdit et réprime les citoyens qui expriment un point de vue différent sur l'opportunité de ces élections ? Peut-on accorder du crédit à des élections organisées par un pouvoir qui a toujours fraudé lors des précédentes mascarades électorales ? Comment peut-on croire qu'aujourd'hui ce même pouvoir serait, comme par magie démocratique, animé d'une volonté politique d'organiser des élections transparentes ? Comment peut-on imaginer que ces élections seraient crédibles du fait de la présence de quelques “observateurs” de l'Union européenne, au moment où le pouvoir interdit à des citoyens algériens de surveiller ces élections dans leur propre pays ? Comment peut-on croire que la multiplication fulgurante et exagérée du nombre de partis politiques, cultivée par le pouvoir, est un gage d'ouverture démocratique, alors que cela crée surtout un véritable marché politique marqué par le manque de démocratie interne et d'ouverture de ces partis éphémères à tous les citoyens sans discrimination, et le manque de transparence en matière de financement ? Pourquoi ces élections “seraient-elles propres et honnêtes”, alors qu'elles ont été précédées, en tout début d'année, par l'adoption par le Parlement croupion d'une nouvelle loi sur les associations, dont le principal objectif est d'interdire de fait les... associations ? Peut-on organiser des élections crédibles, après avoir fait voter par un Parlement aux ordres du pouvoir une nouvelle loi sur l'information, qui multiplie les atteintes à la liberté de la presse et qui ignore le droit à l'accès à l'information pour tous ? Voilà pourquoi je n'irai pas voter le 10 mai. Pour ne pas fauter contre la République. Louisa Aït Hamadouche, enseignante-chercheur en sciences politiques et relations internationales : “L'enjeu de ces élections tient plus de la survie du régime” Je ne voterai pas. Dans le contexte politique actuel, j'estime que la seule façon d'exprimer mon rejet de l'ordre établi, mon refus de cautionner les réajustements superficiels et ma volonté de sanctionner l'ensemble des acteurs partisans est l'abstention. En tant qu'abstentionniste convaincue, mon geste est dicté par deux grands paramètres. Le premier concerne l'offre politique présentée pour ces élections. De mon point de vue, les partis en course n'ont ni le discours ni la démarche, ni les idées et j'en viens même à demander la volonté, de convaincre les électeurs abstentionnistes d'aller aux urnes. En fait, la campagne électorale où l'on voit des meetings plus tristement ennuyeux les uns que les autres, où l'on entend des discours lus difficilement par des candidats qui ne convainquent personne, faute peut-être de ne pas être convaincus eux-mêmes. Difficile, en effet, de croire aux promesses populistes et démagogiques (SNMG à 40 000 DA, exonérations d'impôts en masse, allocation-chômage qui discrédite le travail…). Le second paramètre montre que les partis politiques ne sont pas les seuls en cause. Voter implique avoir une totale confiance dans la transparence du scrutin ; ne pas se poser de questions sur la neutralité de l'administration ; être convaincue que les partis ne sont pas égaux mais se battent avec les mêmes armes. Rien dans les réformes engagées jusqu'à présent ne m'a rassurée. Quant au discours officiel, il me laisse perplexe. Il vise plus à culpabiliser les citoyens — voter est un devoir patriotique —, à leur brandir l'épouvantail islamiste qu'à les convaincre. Par ailleurs, comparer ce scrutin au 1er Novembre 1954 n'est-ce pas réduire le sacrifice des martyrs à un bulletin dans une urne, nier 50 ans d'Indépendance, appeler le peuple à se révolter ? J'ai le triste sentiment que l'enjeu de ces élections tient plus de la survie du régime en place à l'aide d'une base clientéliste partiellement renouvelée que l'amorce d'un changement de régime tellement demandé. Saïda Benhabylès, prix des Nations unies pour la société civile “Contre l'intégrisme et l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques” Je vais voter pour l'avenir de l'Algérie, pour le projet de société, l'approfondissement du processus démocratique, la préservation des acquis pour lesquels sont morts, non seulement le million et demi de martyrs pendant la colonisation, mais aussi les 200 000 victimes du terrorisme. Je vais voter pour la résistance et les sacrifices consentis par le peuple algérien, dans sa lutte contre l'intégrisme et contre l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques. Je vais aussi voter pour barrer la route à ceux qui ont parié sur la déstabilisation de l'Algérie. Enfin, je vais voter pour dire non à toute forme d'ingérence étrangère.