«Nous avons été à l'origine d'un appel pour la reconnaissance des crimes coloniaux que nous avons adressé à tous les candidats à l'élection présidentielle. Nous serons le 8 mai sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris et nous demanderons à Macron (s'il est élu) de mettre en actes les propos qu'il a tenus à Alger.» Ces propos sont ceux d'Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire, co-animateur du «Collectif unitaire pour la reconnaissance des crimes d'Etat en Algérie (Sétif, Guelma, Kherrata)», lors de la réunion publique qui s'est tenue à Paris le 2 mai à l'initiative de la LDH, Au Nom de la Mémoire, les quotidiens Mediapart et El Watan, avec le Collectif pour la reconnaissance de 8 Mai 1945. Les militants et citoyens qui œuvrent à la reconnaissance par l'Etat français des crimes coloniaux seront en effet rassemblés cet après-midi sur le parvis de l'hôtel de ville pour rappeler le futur chef de l'Etat français à ses responsabilités. Des collectifs de plusieurs villes se sont associés à cette initiative qui se renouvelle depuis quelques années déjà. Pour sa part, M'hamed Kaki, co-animateur du collectif et président de l'association Les Oranges de Nanterre, aux questions : «Que demandons-nous ? Que devons-nous faire ?», a répondu : «Nous demandons la justice et l'égalité.» Et de rappeler que la lutte pour l'égalité est «un processus qui va et vient, avec un marqueur : la marche pour l'égalité de 1983». «Cette histoire s'écrit aussi dans l'espace public» «Pour nous, héritiers de l'histoire coloniale, la reconnaissance de cette histoire est un combat qui fabrique du ‘‘Nous''.» «Dans ce travail que nous faisons, ma place est celle d'un militant associatif, pour qu'on puisse marquer l'espace public.» «Cette histoire s'écrit aussi dans l'espace public.» M'hamed Kaki appuie avec détermination : «La reconnaissance, ce n'est pas la repentance.» «Pour nous, une reconnaissance n'est pas une fin en soi, nous disons oui à une reconnaissance à condition que ce soit un premier pas à une réparation», affirme Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). Donnant l'exemple d'un musée contre l'esclavage et la mise en place d'une fondation de l'esclavage, demandés par le CRAN, son président soutient que «c'est comme cela qu'on arrivera sans doute à la réconciliation». Emmanuelle Sibeud, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris 8, relève, pour sa part, une «crispation» sur les crimes de la colonisation. «La colonisation doit être définie pour ce qu'elle est : un crime.» Que faire par rapport à ces crispations ? L'historienne suggère de «sortir du cadre national, on n'est pas seuls, en France, à avoir ce genre de problème» et de «travailler sur ce qui bloque». Animateur de la première table ronde sur «La reconnaissance par la France de cet événement et des autres crimes coloniaux», Edwy Plenel, directeur de Médiapart, a souligné que «le temps est venu que des mots soient dits comme ils ont été dits sur d'autres crimes, de façon à regarder les massacres en face et faire notre chemin ensemble», après avoir rappelé que «la France libre, c'est 56% de troupes coloniales. Sans l'aide des populations issues des colonies il n'y aurait pas eu cette France libre». Et aussi ce constat : «Nous sommes un peuple divers qui se construit avec d'autres peuples.» «Une boucherie à huis clos» Le premier des intervenants à la deuxième table ronde intitulée «Que s'est-il passé en mai-juin 1945 dans le Constantinois ?», notre collègue Kamel Beniaiche, chef du bureau d'El Watan à Sétif, auteur de Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 Mai 1945, préfacé par l'historien Gilles Manceron (éditions El Ibriz, 2016) évoque «une boucherie perpétrée à huis clos». S'élevant contre les «contrevérités contenues dans des ouvrages idéologiques», il a signalé que «les victimes qui n'ont jamais parlé m'ont poussé à enquêter durant dix ans à Sétif, Kherrata, Jijel, Mila, Aokas, Melbou ; au total, cinq wilayas touchées par les massacres le 8 mai 1945 et les jours suivants. Des populations très éprouvées par le typhus et la famine, des tribus entières décimées». Et d'indiquer que «les défenseurs de la mémoire coloniale ont essayé d'effacer la mémoire des fosses communes. A Sétif, les crimes commis par les milices ne sont pas une vue de l'esprit». «Les victimes indigènes ont été effacées des mémoires, elles n'ont pas eu droit à une sépulture. Dans mon ouvrage, elles ont une identité, je n'ai pas omis les victimes européennes. Mon enquête met en lumière la partialité des médias de l'époque. Ce travail m'a permis de mettre au jour de nouveaux faits.» Kamel Beniaiche a retrouvé une cinquantaine de témoins «n'éprouvant aucune haine envers leurs tortionnaires». Dans un même souci de recueil de témoignages, la documentariste Mariem Hamidat a aussi voulu recueillir la parole des derniers acteurs et témoins. Son documentaire Mémoires du 8 mai 1945, réalisé en 2007, elle l'a voulu comme «la volonté de garder cette parole vivante», celle de «ceux qui étaient arrivés à un âge où il était urgent de parler» Et de poursuivre : «Je suis arrivée au moment où ils avaient envie de parler». «Ce sont des paysans analphabètes qui travaillaient pour les colons. Ils ont pu retrouver une dignité à dire les choses, sans haine». Dans leurs témoignages, ils parlent beaucoup de la faim, a constaté la réalisatrice : «Ils avaient faim et se sentaient maltraités, ils n'avaient pas d'autre solution que de se soulever». Il a fallu deux ans à la jeune femme pour réunir les témoignages et les recouper. L'historien Jean-Pierre Peyroulou a observé qu'«à Sétif il y a eu une insurrection spontanée dans les campagnes sous l'effet de la faim, de la peur, de la colère» et «une répression qui a débordé en durée, en sang, qui tourna au massacre de populations désarmées». Tandis qu'«à Guelma, il n'y a pas eu d'insurrection, mais une subversion française dirigée contre les nationalistes algériens et le pouvoir civil français, traduisant la volonté des milices françaises de faire échec au gouvernement provisoire à Paris et à ses réformes, celles qui devaient permettre aux Algériens d'avoir des droits politiques et sociaux plus importants». «Nous n'avons pas assez travaillé sur ces événements» A la faveur de cette première table ronde animée par Gilles Manceron qui a indiqué que la complexité de ces massacres se reflète à travers les travaux des historiens, Malika Rahal a resitué les événements du 8 mai 1945 dans un contexte plus large, celui où Beyrouth, Damas et Madagascar sont secoués par des mouvements similaires à celui de Sétif et de sa région. L'historienne évoquera la personnalité et le rôle de Ferhat Abbas, personnage clé des événements de 1945, leader du Manifeste des Amis de la Liberté, qui «bascule de l'assimilation à la revendication d'une citoyenneté algérienne». «L'assimilation tournait autour de l'idée que la communauté algérienne s'assimilera par ses élites» ; «il y a quelque choses de subversif dans cette revendication», «une citoyenneté par effraction», selon l'historienne. Et d'indiquer qu'«un basculement s'opère en 1943 : si la citoyenneté française ne s'ouvre pas à l'ensemble des Algériens, il faut demander une citoyenneté algérienne». L'association des AML — constituée autour de Ferhat Abbas, Messali Hadj et des oulémas — qui «ne trouve pas d'interlocuteurs», «s'organise et crée plus de 200 sections, Abbas revendique 500 000 adhésions. C'est considérable !» «La mobilisation est très large avec un discours politique de revendication à l'indépendance. Ce qui suscite une riposte coloniale forte, qui se manifeste bien avant le 8 mai 1945. Le 30 avril tombe la décision de déporter Messali Hadj à Brazzaville. Les militants des AML ont été particulièrement visés par la répression. Abbas a été arrêté, et dans les mois qui suivent, ce sont les responsables politiques qui sont à leur tour arrêtés. Cela ne s'arrête qu'en 1946». «Les massacres de mai 1945 sont une des rares références des violences coloniales dans le discours officiel algérien», note pour sa part Abdelmadjid Merdaci, universitaire. «Un fait est acquis, c'est la notion de massacre». Et cette interrogation : «En quoi les massacres de mai 1945 — massifs et prémédités — se distinguent-ils des massacres qui ont accompagné l'entreprise coloniale ? Il s'agit de mettre en perspective les massacres de mai 1945 dans l'entreprise coloniale. Le travail de J.- P. Peyroulou a élargi le champ des massacres de cette époque.» «L'Etat français ne peut plus les occulter.» Abdelmadjid Merdaci propose lui aussi de revenir en amont et de relever que le processus de transfert de revendication de l'indépendance se met en place en 1936 et que le PPA, clandestin (créé en 1937 et interdit en 1939), va, à partir de 1940, commencer à mobiliser autour de l'indépendance. Et de déplorer que «nous n'avons pas assez travaillé sur cet événement qui va cristalliser les revendications d'indépendance dans les profondeurs de la société algérienne grâce au travail des AML». «L'appel de 1945 a été un appel à une manifestation pacifique pour la libération de Messali Hadj et l'indépendance.» Et pour finir, ce rappel : «En 1945, les soldats algériens étaient dans les rangs des vainqueurs. Les fondateurs du FLN sont issus de leurs rangs.»