A l'heure où la production théâtrale marque le pas, Abdelhalim Zreiby est Hamm, personnage central de Fin de partie de Beckett. Montée par une compagnie indépendante, cette pièce grise, grinçante et polysémique est celle-là même qui, quinze ans plus tôt, a consacré Halim comme l'une des plus grosses pointures du théâtre algérien. Il avait 39 ans. Comment ne l'a-t-on pas vu arriver ? C'est parce qu'il vient de loin, du plus loin de l'Algérie. Cela mérite qu'on s'y arrête sachant qu'il est le troisième saharien à se faire un nom dans le théâtre algérien, les deux autres s'étant illustrés dans les années 30' et 40' : Chebbah El Mekki et Mohamed Ould Cheïkh. Il a fallu attendre les années 2000 pour que quelques noms issus du Sahara commencent à être connus. Un mérite qui revient à M'hamed Benguettaf, alors directeur du TNA. Halim est d'une contrée où, en apparence, il est improbable que le 4e art fleurisse : Tindouf. En ce cul-de-sac des fins fonds du Sahara, de grands nomades se sont fixés au milieu de XIXe siècle, les tribus Tajakent, puis Reguibat. A l'indépendance, devenue cité garnison, plutôt garnison que cité, elle a regroupé ce qui reste de nomadisme parce que devenue zone de grosses turbulences avec notre voisin de l'Ouest. Pourtant, le parcours de Zribie est similaire à celui d'une multitude d'artistes : «Ma fréquentation du théâtre remonte à l'école primaire dans les années 70'. C'était sous la férule d'un instituteur venu de Kenadsa, 800 km au nord. Le temps qu'il nous consacrait n'était pas compris dans son horaire de travail, les instits d'alors s'engageaient dans ce qu'on appelait les œuvres post et périscolaires par éthique professionnelle. Ensuite, j'ai fait du théâtre au collège et, enfin, au lycée à Béchar où ce n'était plus du théâtre scolaire comme on le connaît. Nous avions comme mentor un professeur de science qui avait fait du théâtre universitaire. C'était du gros calibre, cet Egyptien qui n'a rien à voir avec la caricature de l'enseignant moyen-oriental propagateur de l'islamisme ! Il nous a donné une formation académique entre 1981 et 1984, mettant haut la barre en nous faisant travailler sur des textes de grands auteurs (Roblès, Tewfik El Hakim, Youcef Idriss). Nous, le groupe d'élèves de Tindouf, nous reprenions ces spectacles lors de nos longues vacances estivales à Tindouf. Nous étions déjà constitués en troupe depuis 1979 au sein du FAJ (Foyer d'animation de la jeunesse) de notre ville. Nous complétions la distribution par d'autres camarades. Ainsi s'est constitué le noyau de ce qui allait devenir la troupe Ennoussour après la promulgation de la Loi sur les associations de 1989». Mais n'ayant pas décroché son bac en 1984, à une époque où le diplôme ne comptait pas pour trouver du travail à Tindouf, il lâche les études. Son idée fixe, c'est l'art des tréteaux. Il exerce alors plusieurs métiers et amasse un pécule pour rejoindre Damas où, contrairement à l'ISMAS ex-ENAD, le bac n'est pas exigé à l'entrée de l'Ecole supérieure des arts dramatiques. Il suffit de faire preuve de ses dons au concours d'entrée. Halim est admis. Mais après cinq mois, ses devoirs d'aîné le rappellent au pays. Son père venait de décéder. Il se refait fonctionnaire, mais n'oublie pas sa passion du théâtre qu'il entretient en animant Ennoussour comme metteur en scène et comédien. Il monte ainsi El mahzala de Youcef Idriss en 1985 qu'il reprend en 2005, El malik houa el malik de Saadallah Wannous en 1986, El intidhar de Oussama Afif Hench en 1988 et, la même année, El mouhakama el ajiba de Tahar Mohamed, Essoltane el haïr de Tewfik El Hakim en 1989, Massat bayaâ eddabs el fakir de Wannous en 1990, El maghboune de Soudani Mekki en 1991, Joutha ala errassif de Wannous en 1992, Ezzaïr salem de Alfred Faraj en 2000 et en 2003 du même auteur Âla janah ettabrizi… Le répertoire monté par Halim s'appuie sur des auteurs de renom en plus d'être en arabe classique : «Mes camarades et moi avons fait du théâtre scolaire dans ce registre de langue. Et nous étions les premières classes totalement arabisées. Ce n'était donc pas un choix mais une évidence. Ensuite, un amateur (metteur en scène ou acteur) ne peut se former sûrement qu'en travaillant sur des textes solidement charpentés avec des personnages bien dessinés. Enfin, utiliser la langue classique oblige à travailler la phonétique articulatoire et les registres de la voix avec plus d'exigence parce qu'elle n'est pas une langue parlée et que, oralisée, il faut la rendre crédible. Par ailleurs, au Sahara, nous avons un autre public. La capacité d'écoute, celle de la gaâda, perdure chez lui, ce qui le rend réceptif à un théâtre verbeux. Mais encore, les thèmes des grands textes l'interpellent bien plus que les questions terre à terre, celles de l'immédiat. On est en pays où la spiritualité et les questions existentialistes ou philosophiques intéressent du fait justement qu'on vit dans des vastitudes qui vous ramènent à l'essentiel». Le propos n'est pas dénué de pertinence. Il se trouve que le théâtre étrenné par Boulghiti et Okbaoui à Adrar ainsi que par Haroun Kilani à Laghouat, pour ne citer que ceux-là, relève des mêmes approches et sensibilités. Ce sont tous ces artistes qui ont imposé en Algérie un théâtre en arabe classique aux thématiques fortes. Du coup, il apparaît que le théâtre au et/ou du Sahara n'a pu conquérir de visibilité que lorsqu'il s'est engagé dans une voie qui lui soit propre, et ce, dès le moment où il a cessé de singer ce qui se faisait au nord du pays. Pour Halim, la sortie de l'ombre s'est réalisée en 2000 lorsque Azzedine Abbar, metteur en scène de Sidi Bel Abbès (autre recalé de l'ENAD qui a réussi malgré elle), est séduit par l'aisance et le ton juste des comédiens de Ennoussour dans les dialogues en langue arabe classique. Il veut monter Fin de partie de Becket traduite en arabe classique par le Libanais Paul Chaoul. Abdallah Hamel, poète et journaliste culturel devenu cadre à la maison de la Culture de Tindouf, en fait la réécriture. La générale est donnée en 2002 au Festival de théâtre primé de Sidi Bel Abbès. A cette occasion, Benguettaf remarque Zribie. Les années passent. Djilali Boudjemaâ de la compagnie El Moudja lui fait appel en 2005 pour être de L'île aux esclaves de Marivaux. En 2007, Halim signe Hamlet dont il campe le rôle-phare. Il restructure l'intrigue faisant apparaître son personnage dès le début du spectacle, juste à la fin de l'enterrement de son père. Il surgit du cercueil qui vient d'être fiché verticalement au sol : «Dans le traitement dramatique opéré, je suis allé à l'essentiel pour conforter l'idée que le théâtre est source de vérité. D'ailleurs, la vérité sur le meurtre du père de Hamlet n'a-t-elle pas été confirmée par la scène où il reconstitue son assassinat par une troupe de comédiens de passage, ce qui a confondu les meurtriers ?». Cela marque surtout un tournant décisif dans le parcours de Halim : Benguettaf l'invite à venir participer à un casting en vue du montage, par le Tunisien Mongi Ben Brahim, de El hakaouati el akhir, un texte du Marocain Abdelkrim Berrechid. Ben Brahim le retient pour le premier rôle. Il ne le déçoit pas. C'est la consécration. Halim met du coup fin à sa carrière de metteur en scène : «Je ne montais en fait que pour me mettre en scène. Jusque-là, je n'avais été approché que deux fois dans le cadre du théâtre indépendant». Son parcours est alors jalonné par des engagements sur des créations qui ont marqué la chronique artistique nationale (voir encadré). L'une d'elles, à l'étranger, en 2011, a constitué un summum parce qu'il a été retenu dans Les Mille et Une Nuits, spectacle théâtral hors norme, d'une durée de six heures ! Son metteur en scène, Tim Supple, un novateur, est un élève de l'immense Peter Brook. Commandé par le Festival Luminato de Toronto et produit par Dash Arts, il a été développé sur deux années de recherche et de répétition au Maghreb et au Moyen-Orient. Il s'appuyait sur une distribution d'une vingtaine de comédiens les plus en vue dans le monde arabe, chacun d'eux campant entre huit à dix personnages, et chacun en trois langues (arabe, anglais, français). Au final, il obtient le prix du meilleur cast et celui de la meilleure œuvre. Depuis, la télé et le cinéma font également les yeux doux à Halim, ce qui explique ses infidélités au théâtre ces dernières années. On le verra d'ailleurs bientôt dans Ben M'hidi de Bachir Derraïs, ainsi que ce Ramadhan sur une chaîne satellitaire du Qatar dans un feuilleton consacré à l'imam Ahmed Ibn Hanbal.