Après son succès dans «Alhane Wa Chabab» de 2007, Raja Meziane dit avoir connu les pires blocages que peut subir un artiste. Sa carrière a été mise en péril, son métier d'avocate aussi. Dès lors, elle décide de quitter l'Algérie pour la République tchèque où elle prépare son come-back avec un nouveau single. Finaliste de l'émission «Alhane Wa Chabab» en 2007, Raja Meziane, jeune artiste-chanteuse, a vu son succès se transformer en une odyssée (un cauchemar). Invitée star de tous les plateaux télé, elle était sur tous les écrans alors qu'elle n'avait que 19 ans. Belle et rayonnante, Raja a réussi à séduire les Algériens le temps d'une épopée. C'est l'une des rares artistes à pouvoir passer du rap à la pop, et du tindi au chaâbi. Sa voix douce, caractérisée par une force inouïe, a fait d'elle l'une des artistes les plus remarquables de sa génération. Le public, qui l'a découverte et tout de suite aimée lors de ce concours de talents pour jeunes, diffusé par la télévision publique, ignorait en réalité ce qu'elle était, ce à quoi elle croyait et la rage qui l'habitait et qu'elle dissimulait avant de tout extérioriser à travers ses chansons diffusées sur Youtube. Au-delà de son talent, Raja était vraiment méconnue, surtout par ceux qui l'avaient recrutée et ses déboires ont commencé quand elle a osé dire non. Non à quoi ? «Non à la hogra, l'hypocrisie et les choses maladroites», explique-t-elle. Quelques années plus tard, après «Alhane Wa Chabab», le public découvre une autre Raja Meziane, une révoltée qui n'a pas peur de dire ce qu'elle pense et qui ne mâche pas ses mots. Dans ses chansons, elle critique et se révolte, comme elle l'a fait dans Manish bent 3imlaq (Je ne suis pas la fille d'un géant), qui a marqué le début de sa carrière de rebelle. Ce single, dans lequel elle dénonçait les blocages dont elle était victime, diffusé en 2012, a été regardé plus d'un demi-million de fois sur Youtube. «L'Algérie va mal et cela tout le monde le sait. Le peuple c'est la jeunesse, mais cette dernière est terrorisée. Le pouvoir a réussi à la corrompre avec l'Ansej et d'autres projets de ce genre. Aujourd'hui, personne n'ose se révolter pour changer les choses. Si quelqu'un tente de bouger le petit doigt, il a directement un redressement fiscal ou un ordre de payer ses dettes envers l'Etat. Laissez les jeunes s'exprimer librement», défend-elle. Avocate Dix ans plus tard, Raja Meziane n'est plus en Algérie. Comme un adieu sans au revoir, elle a quitté son pays pour vivre en République tchèque, sous des cieux apaisés. Mais avant, elle avait vécu ce qu'était réellement un artiste en Algérie. Comme un oiseau en quête d'horizons plus cléments, son expérience l'a poussée à choisir, malgré elle, le chemin de l'exil, fuyant la «médiocrité». «Les responsables du secteur de la culture n'ont pas fait que bloquer ma carrière artistique, mais aussi ma profession d'avocate», dénonce-t-elle. Née à Maghnia, à l'extrême ouest de Tlemcen, Raja a perdu son papa à l'âge de huit ans. Lors de notre entrevue, elle nous a confié que c'est son père qui lui a inculqué les valeurs pour lesquelles elle se bat aujourd'hui. «J'ai été éduquée ainsi par mon père. C'était un révolutionnaire dans son esprit. Il ne cessait de me parler de révolutions dans le monde. C'est lui qui m'a inculqué cette culture et donné cette rage. Il m'a appris à dire non et à dénoncer l'injustice», se rappelle-t-elle. Enfant, Raja fait ses premiers pas de théâtre et de musique dans les rangs des scouts à Maghnia. Elle enregistre son premier album pour enfants à l'âge de 14 ans. Et depuis, elle ne rêvait que d'une carrière dans la musique. Mais pas à n'importe quel prix, comme elle aime bien le préciser. «Pour réussir en Algérie, il faut accepter les sorties, les dîners et beaucoup de choses indécentes que je n'ose évoquer. En réalité, ils décident de tout et vous possèdent», explique-t-elle. Etudiante en droit à l'université de Tlemcen, Raja décide de participer au concours de sélection pour «Alhane Wa Chabab». Son talent remarquable l'a mise au rang des plus prisés. Elle a été donc sélectionnée. «Je me rappelle que c'est parce que j'ai refusé des choses qui ne sont pas mentionnées dans le contrat signé avec la boîte de production que les responsables de l'émission ont décidé de salir mon image. Je devais, pour la finale, chanter avec la star libanaise Majda El Roumi. Alors qu'elle m'attendait sur scène, le producteur m'a bloquée dans la loge et ne m'a pas laissé la rejoindre pour faire croire au public et au jury que j'étais quelqu'un d'orgueilleux et de désagréable. Le but était probablement de me faire perdre. Nous n'avons pas réussi le duo. Mais le public, lui, ignorait ce que j'avais enduré dans les coulisses. J'ai donc pris la décision de ne plus travailler avec eux», tranche-t-elle. Bouteflika Déçue, Raja décide de couper court avec le monde de l'art. Elle reprend ses études de droit et décide de décrocher son diplôme. En 2010, elle reprend la musique et sort son nouvel album intitulé Ya Hasra 3lik Ya Denya, en hommage à son artiste préféré, Kamel Messaoudi. Elle raconte qu'elle a subi «beaucoup de chantages à cette période». Son deuxième album, sorti en 2012, qui compte entre autres Je ne suis pas la fille d'un géant ou Révolution l'a mise dans le viseur. Depuis, aucune de ses demandes de subvention n'est passée. «C'était le début de mes déboires. J'ai même reçu des menaces. Je pense que mon retour a dérangé beaucoup de personnes du domaine», précise-t-elle. Sur sa chaîne Youtube, Rimel figure comme la dernière chanson qu'elle a diffusée depuis plus de six mois. «Rimel était à la base un projet de film et le titre Rimel n'était que la chanson de ce long métrage. J'ai écrit son scénario en 2013. Tout était prêt. Pour le financement du projet, les responsables m'ont fait courir dans tous les sens. Ils ne subventionnent que les gens qu'ils connaissent. Dès qu'ils entendent mon nom, ils me bloquent. D'ailleurs, personne ne voulait me recevoir. J'ai fini par diffuser la chanson après m'être installée en République tchèque», indique-t-elle. En 2014, Raja est convoitée d'abord pour participer dans la chanson de Abdelaziz Bouteflika, Notre serment pour l'Algérie, puis pour animer une émission sur la chaîne Wiam TV, média proche du président-candidat, mais elle a refusé les deux offres. Son mari, Dee Tox, qui négocie ses contrats, a eu ce jour-là une discussion au téléphone avec une responsable de la télévision publique. Ce qui est ressorti de cette conversation a convaincu Raja de mettre fin à sa carrière en Algérie. «Cette responsable a dit à mon mari que c'était fini pour ma carrière d'artiste en Algérie.» Afin de gagner dignement sa vie, Raja s'inscrit au bâtonnat d'Alger et devient avocate. «J'ai galéré comme tout le monde entre la cité universitaire où on se bat pour manger, dormir et prendre le bus. J'ai eu mon diplôme, mon capa et je me suis inscrite au bâtonnat d'Alger où j'ai été rigoureuse dans mes cours. Au final, le bâtonnier a non seulement refusé de me délivrer mon certificat d'avocate, mais il n'a pas accepté de me recevoir afin de m'expliquer les raisons de son refus. C'est là que j'ai décidé de quitter carrément l'Algérie. J'ai compris que je ne pouvais rien faire devant ce genre de personnes», se souvient-elle amèrement. Raja quitte l'Algérie en compagnie de son mari Dee Tox. Elle assure qu'elle ne regrette rien, parce qu'elle pense avoir toujours fait ce qui lui semblait juste. Raja vit depuis plus d'une année et demie en République tchèque où elle continue à faire de la musique. Elle annonce un prochain retour avec un single qui ne tardera pas à être diffusé sur sa chaîne Youtube. Elle a même signé un contrat avec une maison allemande. Son retour est certainement attendu par ses fans et son public qui ne l'ont pas vue depuis longtemps. Quant à elle, elle assure qu'elle est heureuse dans sa nouvelle vie. «Je ne connais pas la soumission, car je suis une artiste libre», insiste-t-elle fièrement.