Dans «Nass Stah», vous campez le personnage de Bahlito qui a été créé, je crois, par H'mida Ayachi. Comment est née cette émission ? Ça a commencé avec «Kahwate El Gosto» sur la chaîne El Djazaïria. C'était une émission de stand-up et de one man show qui a lancé pratiquement tous les humoristes de la jeune génération. J'en étais l'animateur. Quand la première saison est finie, ça tombait juste avec le Ramadhan (en 2012, ndlr). Là, le directeur de la chaîne, Riad Rechdal, a eu l'idée de concocter, pour le Ramadhan, un journal décalé avec H'mida Ayachi, et ils ont pris cette promo. Après, Kader Djeriou nous a rejoints. Au départ, le concept n'était pas clair à 100%, ce qui est normal. Ce style était nouveau pour nous. Certains nous disaient pourquoi vous faites de la politique, pourquoi vous ne faites pas des sketches «normaux». Je crois que c'est une question d'habitude seulement. Pendant des années, on a habitué les gens à ne parler durant le Ramadhan que de bouffe, de disputes dans les couples parce que le mari «ghalbou ramdhan»… Je ne dis pas que ce n'est pas bien, mais tout ça c'est périmé, il faut passer à autre chose. Et on a prouvé que les gens, pendant le Ramadhan, peuvent s'intéresser à autre chose que les programmes de cuisine et les sketches chorba. Peut-on avoir une idée du making of d'un numéro type de «Nass Stah» ? Vu que c'est un journal quotidien, il s'inspire forcément de l'actualité. Donc, chaque jour, il y a un nouveau numéro qui s'écrit. C'est Kader Djeriou qui écrit en particulier tout ce qui touche à la politique. Pour les autres rubriques (social, culture, sport…), on les travaille en groupe. Chacun avance une idée jusqu'à ce qu'on tienne notre sujet. Kader vient le premier, il prépare les grandes lignes, une fois qu'on a les textes, on répète. Les répétitions se font l'après-midi, à partir de 15h, alors qu'on est à jeun. C'est un peu du théâtre ce qu'on fait. On a le canevas, après on développe. On essaie de peaufiner le texte, d'ajouter des trucs comiques, des vannes. Le soir, après le f'tour, on tourne et ça dure pratiquement jusqu'au s'hour. Vous travaillez donc à flux tendu, vous n'arrêtez pas… Tout à fait ! On a 26 numéros, donc 26 jours de tournage, avec un seul jour de repos par semaine. C'est dans cette tension exaltante que vous puisez votre énergie ? Absolument ! C'est fatigant, mais c'est amusant. On doit non seulement apprendre les textes mais proposer des sujets, des personnages et des caractères nouveaux chaque jour ! On travaille aussi les imitations. Moi, j'ai fait par exemple Nekkaz. L'interdiction de l'émission l'an dernier sur KBC a laissé des traces… Oui, ça a laissé des traces. On ne s'y attendait pas. Ce projet, c'est notre bébé, ce n'est pas comme les autres programmes. «Nass Stah», c'est lui la star, ce n'est pas nous. Non seulement ils nous ont empêchés de nous exprimer, mais ils ont surtout privé le public d'un programme qu'il affectionne. Mais l'urgence, c'était la libération de nos amis emprisonnés. On ne s'attendait pas à ce que l'affaire prenne de telles proportions. C'est vrai qu'à chaque saison, il y avait de petites tensions, des gens qui appellent… Il y avait même eu un communiqué de l'ARAV en juin 2015 qui vous reprochait de porter atteinte à «romouz Eddawla » (les symboles de l'Etat)... On sait ce que c'est que «romouz Eddawla». Nous sommes les enfants de l'Algérie, nous connaissons intimement notre pays. Nous sommes des enfants du peuple. Nous sommes un pur produit local. On se soigne en Algérie, on a fait nos études en Algérie, on vit en Algérie, on n'est pas partis à l'étranger ! Comment avez-vous réussi à vous relever dans un tel contexte de régression des libertés ? Le contexte n'était pas facile, en effet. Mais l'an dernier, il faut rappeler que c'est la chaîne tout entière (KBC, ndlr) qui était ciblée. Après, quand les choses se sont tassées, chacun était sur ses projets. Les derniers temps, on s'est dit qu'il fallait reprendre le programme. Pour nous, il n'était pas question que ça s'arrête. On se demandait quelle chaîne voudrait le prendre, les gens ont le droit de nourrir des appréhensions, c'est normal. Après, Echorouk nous a ouvert les portes et c'est très bien. C'est une chaîne qui a une bonne audience, qui a un large public et nous aussi, donc on fait la paire. Y a-t-il des «lignes rouges» qui vous auraient été fixées ? Nous, les lignes rouges, on les connaît. On sait qu'on ne doit pas attenter à l'honneur des personnes, et ça, on ne l'a jamais fait. On n'a jamais porté atteinte à la religion, et si on en parle, c'est uniquement pour épingler des gens qui utilisent la religion comme tremplin. On connaît les valeurs de notre pays. En plus, pendant cinq ans, jamais on n'a dit faites ceci, ne faites pas cela. On n'est pas là pour alimenter la discorde. On est contre la fitna. On est contre les gens qui ne respectent pas la loi. En même temps, il faut souligner que c'est avant tout un travail artistique. Dans «Jornane El Gosto», il n'y a pas que la politique. On critique la société, on fait de l'autodérision, c'est de l'art, on ne part en guerre contre personne. On n'est pas dans la provocation, on est dans la subtilité. Nos responsables ne sont pas habitués à ce style, c'est tout. Mais je pense que maintenant, ils ont saisi notre propos. Ils ont compris que nous sommes des jeunes Algériens qui aiment leur pays à leur manière. L'amour de la patrie, personne ne te l'impose. Il y a juste un principe qui doit faire consensus entre tous, artistes, opposition, gens de pouvoir, tout le monde : c'est de dire non à la fitna. Sinon, vous avez «sauté», comme dirait DZ Joker ? Non, je n'ai pas voté. Nous sommes pour un changement pacifique. Un vrai changement. Les gens karhou, ils en ont ras-le-bol ! Voilà des années qu'ils en ont marre du vote, ce n'est pas nouveau. Ils veulent un changement pacifique. Tous les Algériens vous diront on veut un changement. En analysant l'audience de «Jornane El Gosto» ou encore l'effet DZ Joker, vous n'avez pas le sentiment que l'artistique aujourd'hui a plus d'impact sur l'opinion que le politique ? Il y a le pouvoir des artistes, qu'on le veuille ou non. L'Etat ne peut plus rien contrôler, c'est fini. L'époque de la chaîne unique, c'est révolu. Aujourd'hui, il y a YouTube, il y a internet, les réseaux sociaux… Ça ne sert à rien d'essayer de contrôler un podcaster, vous ne pouvez pas le faire. Il y a aujourd'hui une jeunesse qui dit non, qui veut le changement… Pour notre part, nous sommes conscients de la responsabilité qui pèse sur nos épaules. Nous sommes conscients de notre influence. Mais on ne veut pas profiter de ça. On veut user de notre crédibilité pour faire de belles choses, pas pour inciter les gens à agir dans tel sens ou dans tel autre.