On ne sait pas jusqu'où pourront aller les manifestations du mouvement Hirak du Rif : si elles vont s'amplifier et s'étendre à tout le Maroc au point d'ébranler les bases du surpuissant makhzen, céder sous le coup de la répression, ou s'étioler sous l'effet de l'usure simplement. Ce qui est par contre certain, c'est que la révolte, entamée depuis près de sept mois, a déjà eu à ce stade suffisamment de temps, d'organisation et de vigueur pour s'inscrire dans la mémoire comme un moment qui a fait douter la monarchie dans ce Maroc peu habitué à la protestation de masse et au délit de lèse-majesté populaire. Les manifs ont offert assez d'images fortes aussi pour traverser les frontières et capter l'admiration et la solidarité d'organisations et de mouvements de lutte démocratiques dans la région du Maghreb et au-delà. Il y a eu, entre autres, ce soutien assez particulier de la mairie de Barcelone. La capitale catalane, agitée par le rêve de transformer son autonomie en indépendance, est bien placée pour comprendre les élans potentiellement autonomistes prêtés au Hirak ; cela dit, jusqu'à preuve du contraire, la revendication d'autonomie ne figure pas sur la liste portée par les manifestations du Rif ; les ministres du gouvernement marocain ne se sont fendus de l'accusation de séparatisme opposée au mouvement de Zefzafi que pour l'isoler et le diaboliser aux yeux de l'opinion. Plus intéressant à observer est l'élan de sympathie que recueille ce mouvement dans les pays du Maghreb : le Parti des travailleurs tunisiens de Hamma Hamami a ainsi apporté son franc soutien aux manifestants d'Al Hoceïma et des autres villes du Rif. En Algérie, le RCD a fait de même, emboîtant le pas à de nombreuses organisations de la société civile ; l'image du Comité de la défense des droits des chômeurs, organisant un f'tour collectif devant le siège de la commune de Ouargla en hommage et soutien aux manifestants du Rif et de Tatouine en Tunisie, fait le tour de la Toile depuis avant-hier. Le grand Maghreb des peuples tant chanté et rêvé est déjà une réalité, certes balbutiante, sur Facebook. Et ce Maghreb là est pour l'heure surtout amazigh, sur le plan politique et symbolique. Ce n'est sans doute pas rien que le drapeau berbère, celui-là même qui flotte dans les manifs en Kabylie et dans les Aurès, se retrouve aux premiers rangs des marches et rassemblements nocturnes d'Al Hoceïma ; le même également aperçu en Libye depuis la chute d'El Gueddafi… Les liens qui se tissent depuis quelques années entre les militants des différents pays du Maghreb se densifient au fil du temps et des événements, aidés en cela par ces nouvelles technologies qui font éclater les frontières et réaliser l'«ubiquité nomade» des activistes et militants, selon le concept de Jacques Attali. Lors de cet épisode de révolte rifaine, on peut en mesurer l'impact sur l'organisation des solidarités et des ambitions. Certains activistes pensent déjà à des mobilisations simultanées dans tout le Maghreb à l'occasion de grandes dates et d'événements liés à l'histoire et au combat identitaires. C'est dire que ça ne fait peut être que commencer…