Les troupes de l'Armée nationale libyenne (ANL), commandées par le maréchal Khalifa Haftar, ont annoncé, avant-hier soir, leur emprise complète sur les villes d'Ueddan, Houn et Soukna, ainsi que la base aérienne de Jofra. Lesquelles conquêtes, après celles de Sebha et la base de Tamanhant, signifient l'emprise de Haftar sur la quasi-totalité de la région du Fezzan. Par ailleurs, les informations en provenance de toutes les localités de la région de Jofra ont rapporté que les groupes armés locaux ont remis leurs armes à l'ANL et exprimé leur satisfaction suite aux derniers développements de la situation dans la région. Deux jours auparavant, des combats ont éclaté entre ces groupes locaux et les troupes des Colonnes de défense de Benghazi, appuyées par des «mercenaires tchadiens». Le maréchal Haftar a déclaré que c'est la population du Sud qui s'est libérée et que ce sont les enfants de la région qui vont assurer la sécurité de leurs localités dans le cadre réglementaire fixé par la loi. «L'armée s'occupera des grandes œuvres de défense», a-t-il assuré. Quant aux forces du général Mustapha Charkassi (les Colonnes de défense de Benghazi), elles se sont repliées vers le Nord. Des informations, non confirmées, laissent entendre qu'elles rentreraient à Misrata, où elles disposeraient encore du soutien d'une partie des dirigeants de cette ville, en plus de celui du mufti limogé Sadok Ghariani.
Nouvel équilibre Ces développements sur le terrain viennent en même temps que la «purge» exercée à Tripoli contre les groupes armés de la Jamaâ Moukatila de Abdelhakim Belhaj et ceux du gouvernement Ghouil, les vestiges de Fajr Libya. De là à dire qu'il y a un accord tacite entre Khalifa Haftar et Haythem Tajouri, le chef du Régiment des révolutionnaires de Tripoli, l'homme fort de Tripoli et le principal soutien militaire du gouvernement de Fayez Al Sarraj, il n'y a qu'un pas que plusieurs observateurs ont franchi. Ainsi, le politologue libyen Ezzeddine Aguil pense que le maréchal Khalifa Haftar a reçu un signal favorable de Tripoli, l'autorisant à manœuvrer au Fezzan, en coordination avec les notables régionaux. Pour Aguil, l'emprise de Haftar sur le Sud équivaut à l'annonce du divorce irréversible entre le chef du gouvernement de réconciliation nationale, Fayez Al Sarraj, et les extrémistes des Colonnes de défense de Benghazi, qui n'ont pas respecté l'armistice signé entre Haftar et Al Sarraj à Doha, concernant la situation au Sud libyen. «Al Sarraj ne peut plus défendre les troupes de Charkassi qui ont participé au carnage opéré dans la base de Barrak Chatt, près de Sebha, au Sud, ayant coûté la vie à 141 personnes le 17 mai dernier», a-t-il expliqué, en ajoutant que «ce qui se passe à Tripoli, Derna et dans le Sud, ce n'est que la réaction à la tuerie de Barrak Chat ; les groupes extrémistes sont lâchés par tout le monde et ils paient les frais de leur gaffe». Pour sa part, l'ex-membre du Conseil national de transition d'El Khoms, le juge Abdelkader Minsaz, pense que l'accord de Doha entre Al Sarraj et Haftar se concrétise sur le terrain, avec la mainmise de Haftar sur les bases aériennes libyennes, à part celles de Misrata et Tripoli. En plus, poursuit Minsaz, les milices sont en voie d'exclusion des villes, comme l'a exigé Haftar. «Les puissances étrangères ont fini par suivre Haftar qui n'a cessé d'insister sur la remise de la sécurité entre les mains des institutions», a-t-il constaté, en remarquant que c'est dans ce cadre que les milices de Haythem Tajouri, Les Révolutionnaires de Tripoli, ont remis cinq camps à l'armée. Il ne reste maintenant que la grande bataille de l'autorité civile sur l'armée pour finaliser les amendements de l'accord de Skhirat de décembre 2015. Haftar a proposé à Al Sarraj un «conseil présidentiel intérimaire de trois personnes» : lui-même, Salah Aguila, le président du Parlement, et Fayez Al Sarraj. Ce conseil s'occupera des questions stratégiques. Le gouvernement sera formé de technocrates, loin de toute répartition régionale. «Ce n'est certes qu'une proposition. Mais l'avancée de Haftar sur le terrain va lui donner davantage d'influence sur la décision en Libye», pense le politologue Ezzeddine Aguil.Mourad Sellami