Merzoug Slimane(*) 1-.Introduction La libéralisation des transports urbains vers la fin des années 1980 a provoqué une forte désorganisation du service et un déséquilibre entre l'offre et la demande. Afin de rétablir l'équilibre et de développer un transport durable, l'Etat a marqué son retour à partir de 2005 avec la création des établissements de transport urbain et suburbain (ETUS) par bus dans les différentes wilayas, comme il a opté pour le déploiement des modes lourds (capacitaires) tels que le métro pour la capitale Alger et le tramway pour les grandes villes. Le tramway est le mode privilégié dans plusieurs villes algériennes, il est opérationnel à Alger, Oran et Constantine ; en construction à Annaba, Batna, Mostaganem, Ouargla, Sétif et Sidi Bel Abbès ; et il est en projet dans une dizaine de villes : Béjaïa, Béchar, Biskra, Blida… Ces derniers sont gelés à cause des restrictions budgétaires imposées par la baisse des recettes des hydrocarbures. Dans ce contexte de crise financière et de la problématique de réalisation des infrastructures de transport urbain capables de répondre à l'urgence de la demande due à la croissance démographique et à l'étalement urbain, notre analyse sera orientée vers les modes de transport et les financements alternatifs. 2.- Les tramways en service et les difficultés liées à leur exploitation Les tramways opérationnels dans les trois villes algériennes sont exploités par la compagnie Setram(1). Ces tramways se présentent comme suit : • Tramway d'Alger opérationnel depuis 2011, composé de 3 réseaux, 23 km et 41 rames. Le tram est perçu comme un retour des beaux jours du tramway d'Alger de 1898. Il est considéré comme une solution à la mobilité avec un taux d'occupation qui est de 100% ; • Tramway d'Oran lancé depuis 2013, composé de 30 rames avec une capacité de 300 voyageurs/rame. Son impact est jugé limité à cause de la persistance de la congestion et de la saturation des parcs relais. • Enfin, le tramway de Constantine a été lancé en 2013, long de 9 km et contient 27 rames avec une capacité de 414 voyageurs par rame. Parmi les importantes difficultés d'exploitation de ce nouveau type de transport, nous pouvons citer la fraude qui devient difficile à maîtriser, tout en sachant que l'amende fixée à 100 DA n'est plus un moyen de dissuasion. Afin de limiter ce phénomène, il est envisagé la fermeture des accès. 3-.Pourquoi le tramway pour toutes les grandes villes algériennes ? Etant donné qu'il est le principal financeur et concepteur des modes lourds, l'Etat a opté pour le tramway à travers les plans de développement des infrastructures (2005/2009-2010-2014) afin de : • Répondre à la demande de déplacement due à la croissance de la population et à l'étalement urbain (rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande) • D'aménager et d'accompagner l'extension urbaine (liaisons périphérie-centre) • Favoriser le report modal vers le tramway, grâce à sa forte image et sa rupture avec les modes classiques • Préserver l'environnement (réduction des GES, de bruit…), affiché parmi les principaux objectifs de développement des transports collectifs • Minimiser le risque de non-succès en optant pour un mode qui a déjà fait ses preuves dans d'autres pays, notamment en France. • Enfin, cela peut être dû aussi à la méconnaissance des autres modes routiers (BHNS (2), BRT 3)) qui sont surtout nés et développés en Amérique du Nord et du Sud. Le BHNS et le BRT sont un système de transport moderne qui allie la flexibilité du transport en bus à la vitesse, au confort et à la fiabilité du transport ferroviaire. C'est un mode transport qui fonctionne sur un site propre (appelé aussi transport en commun sur site propre TCSP) (voir la figure ci-après). 4-.Les alternatives au tramway dans le contexte de restrictions budgétaires Asphyxiées par le phénomène de congestion, plusieurs villes algériennes ont fort besoin d'un mode de transport lourd. En effet, la croissance de la population, l'étalement urbain, la faible aménité urbaine en périphéries nécessitent le développement urgent d'un mode capacitaire. A cet effet, le mode routier (BHNS/BRT) peut constituer une alternative dans ce contexte «d'urgence» et de crise financière que traverse le pays, grâce à ses avantages de coût d'investissement, de délai de réalisation et d'adaptabilité aux contraintes et contexte des villes algériennes. D'un côté, ce mode routier peut constituer l'armature du système de transport et l'équivalent du tramway dans les villes moyennes et un outil de rabattement et de hiérarchisation des réseaux dans les grandes villes. D'un autre côté, le manque de fonds ainsi que les problèmes de gestion peuvent être limités en faisant recours aux financements mixtes (péage+ impôt) en remplacement du financement public ou privé pur. a-. Coût des systèmes: avantage pour BHNS Comme le montre le tableau qui suit, l'avantage est pour le bus à haut niveau de service que ce soit en termes de coût d'investissement ou d'exploitation. En d'autres termes, le système BHNS (ou BRT) permet de faire mieux que le bus classique et moins cher que les modes ferroviaires. b-. Délai de réalisation: encore BHNS Le délai de réalisation est un critère déterminant qui interagit avec le coût. De plus, l'adaptation rapide de l'offre par rapport à la croissance de la demande est importante afin de limiter l'usage de la voiture (réduire l'effet d'inertie). Le couple délai/coût est influencé par: La technologie du tramway qui est moins maîtrisée par les maîtres d'œuvre locaux par rapport au mode BHNS dans lequel l'infrastructure existe déjà et moins exigeant en savoir-faire Le tramway est plus exigeant en termes d'aménagement. c-.Modes de financement du transport en commun Pendant longtemps, c'est le principe de financement public-associé à la gratuité qui a prévalu. A partir des années 1970, le financement privé associé à la tarification gagne du terrain, on assiste donc à l'apparition du financement privé pur. Enfin, depuis quelques années on s'est aperçu qu'il est parfois possible de combiner le financement public et privé. Ce financement qualifié de mixte se justifie par les insuffisances et les limites des deux modes de financement. Les Limites du couple public gratuit (financement public pur) : * Une gestion peu efficace : décisions politiques, surestimation des bénéfices et sous-estimations des coûts. * La pression du financement par impôt sur les finances publiques. En raison de la raréfaction des moyens de financement, des projets même très rentables sont sacrifiés. * Cependant, le couple financement public- gratuit a un principal avantage de type redistributif (système qui n'exclut pas les plus pauvres). Les limites du couple privé-tarification (financement privé pur) : * Abandon de l'intérêt public (un inconvénient exagéré, puisque le financement privé s'effectue dans le cadre de concession ou de convention). * La formule ne s'applique que sur les infrastructures tarifables (les rues, les trottoirs… ne sont financés que par l'impôt). * Le système de péage lui-même a un coût (perception) et il est susceptible d'écarter un nombre d'usagers potentiels. * Le risque de substituer un monopole privé à un monopole public. Toutefois, cet inconvénient peut être éliminé en remplaçant la concurrence sur le marché par une concurrence pour le marché. La soutenabilité du financement mixte (péage-impôt) Le problème de ce type, c'est qu'il s'applique uniquement sur les infrastructures tarifables et que certains projets exigent à la fois une rentabilité économique et sociale indispensable à la collectivité et une rentabilité financière nécessaire pour les investisseurs privés. Or, la rentabilité économique est une fonction décroissante du niveau de péage (qui elle-même une condition de la rentabilité financière). Par conséquent, la subvention (financement partiel par l'impôt) est nécessaire pour que le projet soit rentable à la fois économiquement et financièrement.
Conclusion Les villes algériennes sont de plus en plus asphyxiées par une forte croissance de la motorisation individuelle devant une défaillance des transports en commun dominés par les bus classiques qui sont englués dans la congestion (ou la circulation). Le développement des transports collectifs et l'encouragement des modes actifs (vélo, marche a pied) sont inévitables pour améliorer la mobilité dans ces villes. Mais, pour faire face à l'urgence de la demande de déplacement et compte tenu de la crise financière que traverse le pays, la mise en place d'un mode de transport collectif capacitaire, flexible, au moindre délai de réalisation et moins exigeant en capital est nécessaire pour limiter les problèmes de mobilité dans les grandes villes. Le mode qui répond à ces critères c'est le BHNS, grâce à sa position entre le bus classique et le tramway. Le BHNS présente aussi un avantage de délai de réalisation et permet de ce fait de répondre rapidement à la demande et d'atténuer ainsi la motorisation individuelle (effet d'inertie et paradoxe de Downs). Il peut jouer le même rôle que le tramway et constituer la structure centrale du système de transport, notamment dans les villes moyennes. Enfin, le financement mixte (impôt + péage) est une autre alternative, mais pas parfaite, qui peut être exploitée dans les transports urbains. De tous les financements mixtes, le péage fiscal est plus avantageux et plus attractif, puisqu'il conserve les avantages du privé (qualité de gestion, prévision correcte) et évite les inconvénients (coût péage, effet du péage sur les utilisateurs). M. S. (*) Laboratoire d'économie et développement Université de Béjaïa 1- Setram est la société chargée de l'exploitation et de la maintenance des tramways algériens. Elle exploite actuellement les tramways d'Alger, Oran et Constantine pour une période de 10 ans. La direction générale de la Setram se trouve dans la capitale Alger. 2- Bus à haut niveau de service développé en France à partir des années 2000, et dans d'autres pays européens sous le concept de BHLS. 3- Bus rapide transit utilisé depuis les années 1970 aux Etats-Unis, Canada, Australie et Amérique du sud.