Le gouvernement de Abdelfattah Al Sissi doit être parmi les plus heureux au Moyen-Orient de la guerre déclarée au Qatar. Le ressentiment à l'égard de l'Emirat n'a cessé de grandir au pays du Nil depuis plusieurs années, et est devenu de notoriété internationale depuis les lendemains directs de la révolution de janvier 2011. Il a culminé avec la fermeture de l'épisode Morsi et l'interdiction du mouvement des Frères musulmans, pour lequel l'émirat gazier était devenu le refuge inexpugnable, le QG et le coffre-fort. Dans son déploiement fulgurant à l'assaut du leadership diplomatique dans la région du Golfe et le Moyen-Orient, le Qatar avait régulièrement indisposé l'Egypte et son système politique. L'Egypte parce que c'est le berceau historique du mouvement des Frères musulmans et parce que l'aura diplomatique de ce pays, même si son économie reste désastreuse, en imposait encore dans le monde arabe. Et le Qatar était mu par l'ambition d'occuper ce rôle en le mâtinant, comme on le verra plus tard, d'ouvertures capitalistiques sur les symboles de la modernité occidentale (rachat de clubs sportifs, accueil de la Coupe du monde…). Al Jazeera, arme de guerre redoutable aux mains de la famille régnante, apportera un intérêt particulier à souligner les travers de la politique égyptienne, avec notamment l'engagement personnel de Youssef Al Qaradaoui pour déblayer le passage aux Frères musulmans. C'est d'ailleurs à partir de la révolte de la place Tahrir que l'on a sérieusement commencé à parler de l'implication du Qatar dans les événements du Printemps arabe. Par la mobilisation massive des moyens de la même Al Jazeera dans la couverture des événements et son insistance à présenter les Frères musulmans comme les véritables instigateurs de ce vent de changement qui a fini par emporter Moubarak. Ce mouvement arrive enfin à faire élire un de ses représentants à la magistrature suprême, en juin 2012, 60 ans après avoir été lancé par Hassan El Banna, à travers la personne de Mohamed Morsi. Après s'être fait destituer en 2013, et toujours selon ce ressentiment profond à l'égard de l'outrecuidance de ce petit Etat du Golfe, Morsi sera poursuivi au demeurant pour divulgation de secrets défense au profit du même Qatar. Les cadres des Frères musulmans, pourchassés partout en Egypte, trouvent un refuge douillet à Doha et, selon les officiels et les médias égyptiens, c'est de là-bas qu'ils télécommandent les attentats terroristes perpétrés au Sinaï, à Alexandrie et partout ailleurs dans le pays du Nil. La guerre est déclarée entre les deux pays, même si au plan diplomatique les choses ne dégénéreront pas en véritable crise (300 000 Egyptiens sont établis au Qatar). Dans les coulisses, le président Al Sissi n'a pas cessé de plaider des sanctions contre l'émirat gazier coupable, à ses yeux, de financer les attaques qui se commettent notamment au Sinaï. Un des coups qui ont fait très mal à l'Egypte furent d'ailleurs ces vidéos diffusées et savamment commentées, en novembre 2016, par la chaîne Al Jazeera sur de présumées exactions de l'armée égyptienne sur les populations du Sinaï. La mise en quarantaine décidée par l'Arabie Saoudite et ses alliés contre le pays du prince Tamim Ben Hamad Al Thani serait une franche victoire de la diplomatie égyptienne, selon le mot d'un parlementaire qui n'exclut pas qu'Al Sissi exige désormais des Qataris l'extradition des leaders des Frères musulmans pour être jugés. Emportées par l'élan, des voix vont même jusqu'à parier sur la destitution carrément de l'émir Tamim. Un sombre «Front de libération du Qatar» avait d'ailleurs diffusé, via la Toile, dans la soirée d'avant-hier, un appel dans ce sens. Selon les premières informations, l'initiative, qui certes prête beaucoup à caution, serait partie d'Egypte. Une revanche évidente donc pour Al Sissi, traîné souvent dans la boue et accusé de tous les crimes par El Jazeera, avec en prime un bonus financier qui ne manquera pas de venir. En s'alignant avec l'Arabie Saoudite, l'Egypte est en effet assurée d'un apport financier qui soulagera un tant soit peu le pays d'une impasse économique, qui risque fort bien de le remettre sur la voie risquée des troubles sociaux et politiques.