Les étudiants de l'université de Béjaïa auront tout vu. Une vidéo filmée par un étudiant montrant des travailleurs du réfectoire de la résidence universitaire 17 Octobre en train de décharger des quartiers de viande de l'intérieur d'une ambulance malfamée enflamme les réseaux sociaux depuis quelques jours. Pris en flagrant délit de manquement aux moindres conditions d'hygiène, les travailleurs ont voulu empêcher l'étudiant de filmer, mais devant l'intransigeance de ce dernier, la vidéo a fini sur les réseaux sociaux. C'est le scandale de trop qui en dit long sur les conditions lamentables prévalant à l'intérieur des résidences universitaires de Béjaïa, et le mois de Ramadhan, où la rigueur du jeûne exige une certaine prodigalité, n'en est que l'occasion où se cristallisent toutes les défaillances qui minent la gestion des œuvres universitaires. Au premier jour du Ramadhan, l'on a rapporté la rupture avant l'heure des stocks de nourriture préparée dans plusieurs résidences universitaires, obligeant des centaines d'étudiants à la débrouille ou à débourser de l'argent pour se nourrir, après une dure première journée de jeûne. «Nous avons dû, moi et mon ami, aller à Dar Rahma (resto du cœur) pour manger à notre faim, mais comme nous étions en retard, nous avons dû mettre la main à la poche pour manger dans un restaurant privé», confie un étudiant de la résidence universitaire Tahar Djaout (ex-1000 lits). «Ce n'est pas du tout une affaire de rester ici, c'est insupportable, je passe l'examen d'aujourd'hui et direction la maison», ajoute-t-il, amer. «C'est un vrai calvaire que nous endurons. La nourriture est insuffisante et de piètre qualité. Il est arrivé que la viande finisse avant la fin du service. C'est le cas le deuxième jour du Ramadhan, où la majorité des étudiants n'ont pas eu leur part, car il n'en restait plus au bout d'à peine 45 minutes de service. A la place, on a eu droit à de la viande hachée mais elle était de si mauvaise qualité que peu d'étudiants y ont touché», raconte Tarik, étudiant en fin de cycle anglais, résident de la même cité. Pour le reste du plat, bien qu'une amélioration du menu soit préalablement annoncée à l'occasion du mois de carême, la nourriture reste la même : indigeste pour ne pas dire immangeable.
Calvaire du résidanat «Au deuxième jour de Ramadhan, nous avons eu droit à l'éternelle chorba, toujours aussi indigeste, du riz, tout aussi médiocre, et comme dessert, des pêches rabougries que la majorité des étudiants ont abandonnées dans leurs plats», témoigne Tarik. De vraies conditions de spartiates. D'ailleurs, dans ce contexte, les étudiants résidents envient leurs camarades plus chanceux qui ont le privilège d'habiter près de leur lieu d'études. Ceux qui n'ont pas cette chance, et qui ne veulent plus subir le calvaire du résidanat, préfèrent faire la navette quotidienne sur des dizaines de kilomètres pour rentrer chez eux. D'autres ont trouvé la solution en ne comptant que sur eux-mêmes pour pouvoir se nourrir plus ou moins convenablement. C'est le cas de Sylia qui, bien avant l'avènement du mois de carême, cuisinait ses repas dans sa chambre universitaire. «A mon premier repas ici à la résidence déjà, j'ai pris la décision de ne plus remettre les pieds dans le réfectoire de ma résidence, sauf si c'est pour apporter du pain ou des aliments conditionnés. Moi et mes copines de chambre, nous nous organisons pour cuisiner et c'est ainsi que nous faisons depuis des années. Pour ce Ramadhan, nous déboursons, chacune, quelque chose comme 200 dinars, pour acheter le nécessaire. C'est mieux que de se taper plus d'une heure d'une chaîne interminable pour se voir au final servir une nourriture indigeste et qui risque de vous emmener tout droit à l'hôpital», confie, désabusée, cette résidente de la cité de Targa Ouzemmour, sise à Béjaïa-ville.
Cri d'alerte «L'administration s'accommode bien de cette situation. C'est elle seule qui doit être tenue pour responsable vu que c'est elle qui gère tout. Elle se contente de gérer la misère, car la source du problème c'est bien le désengagement financier envers le secteur de l'enseignement supérieur. Sans une réaction des étudiants pour mettre la pression, la situation ne ferait que se dégrader davantage», lance Tarik. «Puis, il y a aussi le volet de l'hygiène. Ce qui se passe dans les résidences est grave à plus d'un titre, d'abord pour les dangers que cela peut engendrer sur la santé des étudiants et des travailleurs, puis sur l'image de notre université. Faites un tour à l'intérieur du restaurant et dans les sanitaires des dortoirs, c'est une calamité. Il n'y a ni entretien régulier, ni nettoyage, ni rien. Quand il y a restauration, les budgets sont engloutis sans qu'il y ait de résultats. C'est vraiment la dégradation totale. Si ça continue comme ça, ces saletés et ces mauvaises odeurs avec lesquelles on est obligés de composer jour et nuit vont finir par nous emporter», tempête notre interlocuteur. Malgré les différents cris d'alerte des étudiants, à travers des protestations régulières et insistantes, pour inciter l'administration universitaire à améliorer la qualité de la nourriture et les conditions d'hébergement, la situation ne fait malheureusement qu'empirer dans les résidences universitaires. Comme les étudiants, les travailleurs de ces établissements sont eux aussi dans la tourmente. Les résidences U de Béjaïa sont un foyer de conflits socioprofessionnels permanents, marqués par des grèves intempestives qui rajoutent à la dégradation générale. La précarisation des travailleurs de ce secteur influe par effet d'entraînement inévitablement sur le cadre de vie des étudiants.