A fin 2017 devraient être réalisées 680 000 T d'acier, sur 1,2 MT représentant les capacités théoriques du complexe, seuil jamais atteint depuis son entrée en production en 1969», se réjouissait Maâmar Habache, PCA de Sider El Hadjar. Affirmation dont paraissait être embarrassé Elhadi Laskri, cet ancien numéro un de la sécurité au complexe était, en effet, loin d'ignorer, à l'instar de nombre de ses ex-collègues -cadres dirigeants-, que bien avant le débarquement en Algérie de l'indien Ispat (devenu Mittal-Steel en 2005 puis ArcelorMittal après la fusion entre Mittal et le luxembourgeois Arcelor), autrement dit à l'époque du groupe Sider, le complexe avait par deux fois réussi à dépasser le cap psychologique d'un million de tonnes d'acier liquide/an soit la moitié de ses capacités nominales de production annuelles. «En 1987, le complexe, bien qu'enlisé dans des difficultés de toutes natures, avait atteint un record historique, près de 1,5 MT d'acier liquide», a tenu à rappeler M. G., ancien patron d'une ex-filiale de l'ex-Sider, dans une déclaration à El Watan Economie. Des performances que le complexe sidérurgique est à ce jour incapable de reproduire. Car le passage de Lakshmi Mittal n'est pas à marquer d'une pierre blanche. Partenariat gagnant-gagnant, dites-vous ? Une entreprise au bord du précipice financier (104 milliards de dinars de dettes), dépouillée de ses élites managériales, amputée de plus des deux tiers de ses effectifs et incapable de franchir les 100 000 t, c'est finalement ce qu'il léguera aux Algériens, après 15 ans de partenariat que l'on disait «gagnant-gagnant». Pourtant, au moment de son installation, le chasseur des usines en sursis avait plus d'un avantage en sa faveur, et Cheboub Hasnaoui, l'ex-DG de la défunte Sider en sait quelque chose : «En effet, trois années auparavant (1998), l'entreprise avait bénéficié d'une opération d'assainissement financier ayant coûté à l'Etat 60 milliards de dinars. Mieux encore, nous a-t-on appris, un important programme de ‘‘Sauvegarde de la sidérurgie algérienne'' y avait, à l'époque, été déployé avec, entre autres, la réfection de la cokerie, la remise, presque à neuf, du HF, la rénovation de l'aciérie à oxygène (ACO1), la rénovation/modernisation de l'agglomération N°2 ainsi que la réfection de la centrale à oxygène COX3, dit autrement, toutes les unités phares du complexe. Bien plus : au lieu de recentrer l'activité du complexe sur la production, Lakshmi Mittal s'en était servi aux seules fins de vendre ce qu'il avait trouvé pour le réinvestir sur place. Pour cela, il lui fallait une assise juridique. Les commandes du complexe entre ses mains, il s'empressera de créer deux sociétés d'import-export à Dubaï via lesquelles s'effectuaient tous les achats et ventes du complexe à l'international. Aussi, peu de temps avant l'implantation de Mittal, El Hajdar avait conclu de gros contrats d'achat de charbon. Au lendemain de la conclusion du contrat de partenariat, les mêmes contrats s'étaient retrouvés entre les mains de l'un de ces sociétés de Dubaï mais à des prix bien plus élevés. Toujours par le biais de ces mêmes sociétés, un stock de produits sidérurgiques divers dont 300 000 t de brames trouvés sur place, l'équivalent de 08 milliards DA, avait été revendu à l'étranger et ce, outre les millions de dollars engrangés de consommables et pièces de rechange neufs, de quoi mettre sur pied une nouvelle petite usine qui avaient atterri chez des usines concurrentes.» Et pas que : tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, le géant indien n'hésitera pas à mettre en œuvre le plan de liquidation ramené dans ses bagages, s'attaquant, en priorité, aux filiales phares du complexe. Sur les 24 que comptait El Hadjar, il n'en retiendra qu'une dizaine. Pis encore, si les installations névralgiques ont, pour la plupart, été réduites à l'état de ruine, la cokerie sera surexploitée pour finir par être carrément fermée en 2009. Ses motivations étaient claires : faire du complexe, c'est-à-dire l'Algérie, un client attitré de ses usines en Espagne ainsi que des cokeries chinoises : «C'est avec des complicités à l'intérieur d'El Hadjar et d'ailleurs, c'est-à-dire des Algériens, que la cokerie a définitivement été fermée début 2010. Depuis, c'est une moyenne de 8 navires d'une capacité allant de 47 000 à 51 000 t/ navire de coke qui sont annuellement importés pour un coût oscillant entre 20 et 24 millions de dollars. Pourtant, notre produit était de meilleur qualité», dénonce Noureddine Amouri SG du syndicat d'entreprise Sider El Hadjar, lors d'une longue entrevue avec El Watan Economie à El barraqua, siège du syndicat. «Pour les besoins du HF et ses autres filiales dans le monde, ArcelorMittal recourait aux achats groupés à des prix hautement avantageux de coke chinois auprès d'intermédiaires basés en Europe. Ce même coke nous était facturé à presque le triple du prix d'achat initial. Ce qui lui avait permis de transférer à l'étranger d'importantes sommes en devises», dénonce Chawki Benramoul, membre du comité de participation (CP) et chargé des relations extérieures au syndicat. Un plan de dépeçage diabolique La cupidité du groupe ArcelorMittal s'avérera sans limites : profitant de la période transitoire succédant à la récupération, l'été 2016, par les Algériens de la totalité du tour de table (100% du capital), il avait mis au point un autre plan, la fermeture pure et simple de l'aciérie électrique (ACE). S'assurer un marché, celui des lingots et des billettes, avant son départ officiel et définitif de l'Algérie était la finalité. «Avant que la nationalisation d'El Hadjar ne soit officialisée sur les papiers, ArcelorMittal, qui était toujours propriétaire des 49%, a voulu se débarrasser de l'encombrante aciérie électrique en vue de faire du complexe un importateur de lingots, produits dans son usine en Roumanie. Une manœuvre déjouée grâce à la mobilisation des travailleurs. Aussi, il voulait faire de même pour la logistique, l'Algérie sera de fait contrainte d'importer des locotracteurs de l'étranger. Une résolution a même été adoptée par CA de l'époque, mais finira par être annulée sous la pression des travailleurs et leurs représentants syndicaux», fera savoir M. Amouri, SG du syndicat. Abondant dans le même sens, Noureddine Bahi, cadre exerçant à l'ACE, nous expliquera : «Les lingots fabriqués par l'ACE sont transformés à la tuberie sans soudure (TSS) pour le compte du secteur de l'énergie. Ces tubes sans soudure en acier, de haute précision, sont utilisés dans l'enveloppe des puits de forage gaziers et pétroliers ainsi que dans le transport de gaz/pétrole. Les lingots servent aussi à fabriquer d'autres tubes spécifiques au forage hydraulique. Il faut savoir qu'El Hadjar est l'unique fabricant de lingots en Afrique. Notre usine fabriquait aussi des lingots d'acier spécial pour les besoins du ministère de la Défense nationale. Raison pour laquelle M. Lakshmi voulait, sous son règne, à tout prix arrêter la production de lingots au complexe d'El Hadjar». Et le même M. Bahi, également président du Comité aide sociale et culturelle (CASC), d'ajouter : «L'ACE produit aussi des billettes pour LRB (laminoir rond à béton). Le partenaire étranger avait arrêté pendant de longs mois la production de billettes pour importer celles fabriquées dans ses autres filiales, notamment celles de Hambourg, en Allemagne, et de Roumanie au prix de 660 $ la tonne, alors que la billette issue d'El Hadjar nous revenait à 460 $ la tonne. Un énième transfert pur et simple de capitaux.» Bien plus : sous l'instigation des ex-représentants d'ArcelorMittal en Algérie, une grève historique de six mois avait immobilisé la TSS, en 2015. Période au cours de laquelle, tiennent à rappeler MM. Amouri et Bahi, plus de 3000 tonnes de tubes semi-finis avaient, commandes de Sonatrach oblige, étaient importées d'Ostrava (République tchèque) où le numéro un mondial de l'acier est propriétaire d'une autre grande usine sidérurgique. Fort heureusement, se félicitent nos deux interlocuteurs, les lingots frappés du sceau El Hadjar devraient ressortir bientôt de l'ACE, les opérations de réhabilitation dont a bénéficié cette unité, au même titre que le HF, dans le cadre de la 1re phase du plan Brown-Field, étant déjà achevées : «D'ici quelques jours, l'ACE, remise pratiquement à neuf, devrait reprendre la production de lingots. Nous avons une commande de 50 000 tonnes de la TSS», nous ont-ils annoncé, jubilant.