La générale de La poudre d'intelligence, une pièce de théâtre de Kateb Yacine, publiée dans le recueil Le Cercle des représailles en 1959, a été interprétée, vendredi dernier, en kabyle. Mise en scène par Djamel Abdeli, la pièce a été construite sur la traduction faite du texte original en 1975 par Amar Mezdad. Ce qui a donné le titre Aghebar s allen (La poudre aux yeux), qui résume les politiques pompeuses et trompeuses des gouvernants. Le personnage principal de Kateb, Nuage de fumée, prend dans cette version kabyle le nom de Tchaklala, un personnage autour duquel se construit la satire et qui nous rappelle à bien des égards le théâtre de Mohya. Tchaklala est un philosophe mais à la facétie et la ruse de Djeha. Philosophe oui, mais dont l'intelligence ne prend de la valeur que parce que son entourage en manque. Y compris parmi les dignitaires que représentent le sultan, le cadi et le mufti et qui sont ridiculisés en leur faisant camper des rôles qui frisent parfois le loufoque. La pièce satirique se moque de ses responsables et de leur politique qui endort le peuple par des illusions en leur jetant de la poudre aux yeux. La poudre d'intelligence fait, en filigrane, la critique d'un système trompeur qui fait installer un ordre établi. Lorsque Tchaklala s'achète un âne, il ne s'empêche pas de souhaiter que «les hommes vivent d'un côté, et les ânes de l'autre». Le message de Kateb Yacine est subtil, mais corrosif dans son essence. Le couple, qui joue les deux rôles de coryphée et du chœur, vole le baudet et à la femme de léguer la bride à l'homme. La ruse s'exprime ainsi à plusieurs niveaux pour figurer une société qui pourtant ne s'émancipe pas de l'emprise des gouvernants. Tchaklala s'occupera alors de se venger de cette autocratie qui ne repose finalement que sur la crédulité des gouvernés. Au nom de la satire, le sultan est montré autoritaire avant de le soumettre à la moquerie qui lui fait, par exemple, manger un plat goulûment chez Tchaklala, son hôte d'un jour. L'image peut être celle d'une faim insatiable du pouvoir. La crédulité est aussi celle du roi qui croit au pouvoir magique de la poudre d'intelligence que lui présente le drôle de philosophe. La flairer lui donne une sensation de bien-être, illusoire. Le sultan est traîné dans l'humiliation que lui font subir les caprices d'une femme. Un peu plus tôt, on lui dit qu'il a besoin de trois choses pour avoir la paix, l'or, l'amour et l'intelligence. Si pour le premier, il peut s'en procurer, les deux autres lui manquent affreusement. Ce qui peut paraître comme une perversion n'est en fait que la cristallisation d'une réalité qui n'épargne pas le personnage d'El mefti (le mufti), qui n'est pas moins moqué. Il symbolise rien moins que la religion, dont la pièce critique subtilement l'instrumentalisation, comme une plaidoirie implicite à la laïcité. Même si elle prête à rire, par son absurdité, la situation est tragique dans cette pièce qui puise une substance dans le patrimoine de la culture orale, à l'exemple des contes, comme celui de l'âne aux crottes d'or que l'on peut bien trouver dans les anciens contes berbères de Kabylie. Aghebar s allen est jouée par sept comédiens du TRB dans un décor minimaliste qui rejoint autant l'indigence matérielle de la société qu'elle préfigure l'indigence intellectuelle des dignitaires qui y trônent. La générale a laissé, cependant, apparaître certaines béances dans l'enchaînement des scènes par manque de rythme dans le jeu qui gagnerait, certainement, à se fluidifier encore.