Au 18, Place du 1er Novembre (Place Ettout), à Blida, se trouve la plus ancienne imprimerie d'Algérie et l'une des plus anciennes d'Afrique, l'imprimerie Mauguin, fondée en 1857. Les fondateurs de cette entreprise ont un slogan : «Nous sommes imprimeurs, imprimeurs nous restons». Samedi 1er juillet 2017, l'imprimerie Mauguin de Blida, fondée par le typographe Alexandre Mauguin, a fêté ses 160 ans d'existence. Un record ! A cette occasion, une cérémonie a été organisée au niveau de l'Ecole technique de la Sonelgaz en présence de plusieurs invités entre auteurs, éditeurs, libraires, amateurs de littérature, journalistes et universitaires. Bernard et Christine Lefèvre, membres de la famille française propriétaire de l'imprimerie, ont également assisté à la cérémonie. «J'ai écouté les paroles de tous les intervenants. Ils croient beaucoup en ce qu'ils font. Je pouvais toucher la passion qu'ils expriment», a déclaré Bernard Lefèvre Jr, saluant les amis et les partenaires économiques de l'imprimerie Mauguin. Il a pris la parole au nom de son grand-père Bernard (père de Chantal Lefèvre) et des héritiers. «L'imprimerie ouvre ses portes et déroule son histoire plus que séculaire dans les arts graphiques», est-il écrit dans une affiche. «Tous les dix ans, l'imprimerie Mauguin a pris l'habitude d'organiser une fête. Le 150e anniversaire a été célébré en présence de Chantal Lefèvre, directrice de l'imprimerie, qui n'est plus parmi nous. Nous devons continuer à perpétuer la tradition», a déclaré Souhila Lounissi, administratrice. Deux ans après la disparition de Chantal Lefèvre, qui a relancé les activités de l'imprimerie en 1993 malgré les dangers et les difficultés de l'époque, Mauguin se porte plutôt bien. «Nous restons dans la continuité de l'activité instaurée par Chantal. Toutes les procédures de gestion en termes de normes de production et de qualité ont été maintenues parce que le personnel a été formé dans ce sens. Nous avons gardé la même clientèle qui est restée fidèle à la mémoire de Chantal et à la tradition de Mauguin. Nous sommes une entreprise certes commerciale, mais beaucoup plus culturelle. Nous maintenons l'activité de l'édition. La famille Lefèvre insiste sur la pérennité de l'entreprise», a précisé Souhila Lounissi. Mauguin travaille avec plusieurs maisons d'édition algériennes comme Barzakh, Média Plus, Hibr, Dar El Djazaira, El Maktaba al falsafia et BMPS. «J'ai commencé à travailler avec l'imprimerie Mauguin depuis 2003. Auparavant, j'imprimais chez l'Enag et un autre imprimeur. Quand on vient chez Mauguin, on ne change pas. On y apprend plein de choses. Il y a du sérieux, du conseil et des rapports de confiance. Nous sommes satisfaits. J'ai beaucoup appris avec Chantal Lefèvre. Une amitié s'est vite développée grâce au livre. Je pense que le résultat est là avec des livres de qualité sur le plan impression. Les lecteurs peuvent en juger», a témoigné Yacine Hanachi, directeur des éditions Média Plus de Constantine qui existe depuis 1991. Selon lui, Chantal Lefèvre a donné instruction à ses employés de continuer à travailler avec les mêmes clients et éditeurs. «Cela m'a beaucoup touché. Toute l'équipe de Mauguin est à saluer. Chantal nous manque, elle n'est plus là, mais le travail continue avec le même soin», a-t-il souligné. «Lettres de noblesse» Yacine Hanachi est venu avec deux de ses auteurs, Lynda Nawel Tebbani et Armand Vial qui ont parlé de leurs expériences dans l'écriture. Lynda Nawel Tebbani, qui est docteur en littérature, a publié cette année, L'éloge de la perte, un roman dans lequel elle raconte une histoire d'amour complexe qui se déroule entre Constantine, Alger et Paris. Le malouf, une des variantes de la musique arabo-andalouse, rassemble les deux amoureux. Mon chemin de terre est le titre du roman, paru cette année, de Armand Vial, qui est également photographe. «Un ami imprimeur d'Orléans, qui faisait des livres d'artistes faits à la main en édition limitée, m'a appris d'aller voir un éditeur toujours avec une maquette papier. Cela ne plaît pas toujours aux éditeurs. En tant qu'auteur de textes ou de photos, j'ai une idée sur ce que sera le livre une fois fabriqué», a expliqué Armand Vial qui est installé en Algérie et qui est natif de Constantine. Selma Hellal, directrice des éditions Barzakh d'Alger, est venue, elle, à la cérémonie avec deux de ses auteurs aussi, Maïssa Bey et Arezki Mellal. «Nous imprimons nos livres à Mauguin depuis 15 ans, d'abord sous l'impulsion de Chantal Lefèvre, disparue en octobre 2015 et aujourd'hui avec une équipe fantastique qui maintient aux normes cet outil de production et donne à ce métier toutes ses lettres de noblesse», écrit l'éditeur Barzakh sur sa page Facebook. «Une fois le texte fini, ce n'est plus moi. Ce que peuvent penser les autres, cela leur appartient. Je n'ai jamais demandé à quelqu'un de me dire ce qu'il pensait de ce que j'avais écrit. J'ai écrit des pièces de théâtre et j'ai écrit pour un film. Et je n'ai pas cherché à savoir ce que les metteurs et les cinéastes en faisaient. Je respecte les métiers», a témoigné Arezki Mellal, auteur de Maintenant ils peuvent venir, adapté au grand écran par Salem Brahimi. Il a rendu hommage à Ammi El Hocine, propriétaire de l'imprimerie L'Artisan de Boufarik, où Barzakh et Médias Plus avaient, pour un temps, édité leurs livres. Arezki Mellal, ancien maquettiste et graphiste, a exprimé de l'inquiétude par rapport à la perte du savoir-faire dans les métiers du livre accélérée par les nouvelles techniques. Il a cité l'exemple de l'art typographique et du secrétariat d'édition (ou de rédaction). Maïssa Bey, qui édite chez Barzakh depuis le début des années 2000, a, de son côté, évoqué son rapport à l'écriture. «L'écriture était ma seule planche de salut pendant longtemps, mon refuge. Mon père était instituteur de français. Il y avait beaucoup de livres à la maison contrairement à beaucoup de familles algériennes avant l'indépendance. J'ai appris à lire très jeune. Je suis donc tombée dedans toute petite. C'était la guerre. Toutes les questions que je me posais ont été plus ou moins résolues par les livres . Je lisais tout, même le journal qui enveloppait les courses», a-t-elle confié. Maïssa Bey a écrit plusieurs romans et récits comme Entendez-vous dans les montagnes (2002), Bleu Blanc Vert (2006), Pierre Sang Papier ou Cendre (2008) et Hizia (2016). «Je suis fascinée par les mots et par l'histoire, beaucoup plus que par la forme du livre. Lorsqu'un auteur donne un livre aux lecteurs, je pense qu'il est persuadé qu'il donne le meilleur de lui-même. C'est cette émotion qui me saisit à chaque fois je lis un livre. Je me dis qu'il y a derrière quelqu'un qui veut nous donner quelque chose», a souligné la romancière qui s'est rappelée de la publication de son premier livre aux éditions Marsa en France, Au commencement était la mer (1996). Les éditions du Tell L'universitaire Amina Bekkat est, pour sa part, revenue sur l'expérience des éditions Le Tell, créées à Blida avec Chantal Lefèvre et un groupe d'universitaires et d'intellectuels comme Afifa Brerhi, Abderrahmane Khelifa et Djamel Souidi. «Chantal a hérité d'une imprimerie criblée de dettes. Elle s'est mise au travail, s'est formée et a réussi à relancer la machine. Vers 2000, elle nous a proposé de lancer une maison d'édition. François, le frère de Chantal, a contribué au projet. Informaticien, il savait travailler avec beaucoup de précision. Nous avons choisi d'éditer des livres sur la littérature, l'histoire, l'économie et les sciences humaines», s'est-elle rappelée. Notons enfin que la cérémonie a été marquée par l'exposition du vieux matériel d'imprimerie, de lettres en plomb, de livrets de caractères et d'une collection du journal Le Tell, ainsi que des travaux de Paul Faizant, ami de Chantal Lefèvre, sur plus types de papiers fabriqués à partir de plantes. Le film documentaire Sous le soleil, le plomb de Abdenour Zahzah sur Blida et sur l'imprimerie Mauguin a été projeté durant la cérémonie. Certains anciens employés de l'imprimerie ont été honorés, comme MM. Kara, Zane, Saâdi, Mekfouldji et Rachid Abdelsmed.