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L'imprimerie Mauguin fête ses 150 ans
UN ANNIVERSAIRE QUI MERITE D'ÊTRE CELEBRE
Publié dans L'Expression le 03 - 06 - 2007

Dans l'esprit même des fondateurs de l'Etat algérien, il y a une continuité entre hier et aujourd'hui. L'imprimerie Mauguin fait partie de ces institutions culturelles, au même titre que les universités et les bibliothèques, que l'Algérie a héritées de la période coloniale. Le fait original ici, est qu'elle a continué à être gérée par ses propriétaires, de père en fils, et même en fille. Le fait est rare et mérite d'être signalé.
Une saga. Elle commence en 1857, dans la région de Blida. Cela fait un siècle et demi. L'histoire de l'imprimerie Mauguin a ce rare privilège d'être, sans doute, la seule institution culturelle (car il s'agit bien d'une) qui établit un trait d'union entre la période coloniale et l'Algérie d'aujourd'hui, jetant un pont entre ce qui fut et ce qui est. Chantal Lefèvre, héritière et gérante actuelle de l'entreprise (au statut de Eurl), elle-même née en Algérie, se considère comme une Algérienne, et fière de l'être. Dans un article paru dans Le Courrier international, et intitulé «Des pieds-noirs attachés à leur terre natale, Algériens à part entière», l'auteur nous parle de ces pieds-noirs qui sont restés en Algérie après l'indépendance, refusant l'exode, «alors que d'autres, ayant quitté le pays pendant ou peu après la guerre, sont revenus sur place, manifestant une confiance retrouvée envers leur terre natale». Et, bien sûr, Chantal Lefèvre, faisait partie des milliers de Français d'origine qui ont cru bon de quitter l'Algérie en juillet 1962, laissant derrière une partie de leur vie et «des souvenirs indélébiles». Nous apprenons ainsi que cette femme, née en 1945 à Alger, n'avait pas rejoint la France comme la plupart des pieds-noirs, mais qu'elle s'était exilée en Espagne, histoire de rester proche du pays natal, tout en gardant un pied sur les rives de la Méditerranée.
Elle n'est revenue au pays qu'en 1987, sur invitation de son cousin Henri Lombard, à l'occasion d'un voyage touristique dans les Oasis, mettant à profit cette virée pour faire un pèlerinage dans le quartier de son enfance à Alger. Encouragé par ce cousin, demeuré fidèle à l'Algérie, tout en s'adonnant à ses deux sports favoris, le livre et la chasse au sanglier, elle revient reprendre le relais dans la gestion de l'imprimerie Mauguin. Petit à petit, elle retrouve son pays, et l'idée de retourner y vivre germe dans sa tête. Et ce n'est qu'en 1993, en pleine tourmente, qu'elle saute le pas et qu'elle revient pour de bon. «J'ai pris la décision de tourner la page et de revenir définitivement en Algérie.» Chantal Lefèvre revient donc à Blida, la ville des Roses, s'installant dans un appartement situé au-dessus de l'imprimerie Mauguin, entreprise familiale fondée en 1857, il y a un exactement un siècle et demi, par son arrière- grand-père maternel, Alexandre Mauguin.
Le tour du propriétaire
C'est Chantal Lefèvre elle-même qui nous reçoit au rez-de-chaussée de l'imprimerie et qui nous fait l'historique de cette prestigieuse institution.
«1857: la base est ici. Ça commence ici. Face à la Mairie de Blida, dans le département d'Alger», nous dit-elle.
Quatre ans plus tard, Alexandre Mauguin lance le journal Le Tell de la Mitidja. Créé en 1864. C'était un journal local, nous dit Chantal Lefèvre. Reprenant toutes les informations de la Mitidja et des environs (Chiffa, Mouzaïa, El Affroun, Boufarik, Chebli...). La vie agricole, la chronique judiciaire, les faits divers. Une feuille de chou que les gens lisaient et qui n'était pas rentable, aux dires de Mme Lefèvre. Financièrement, c'était l'imprimerie qui supportait les frais de confection. C'était un hebdomadaire qui était passé à la périodicité bimensuelle pendant la Seconde Guerre mondiale. La rédaction était hébergée dans les locaux mêmes de l'imprimerie. Les Blidéens pouvaient lire le contenu du journal affiché sur les panneaux de la librairie. Car il y avait aussi une librairie qui proposait des livres de bonne facture, et tout cet ensemble vivait en harmonie. Représentant, en plein centre de Blida (au lieu-dit place Ettoute) un lieu culturel qui répondait à l'atmosphère de l'époque. La ligne éditoriale devait également être de facture coloniale bon teint. Néanmoins, pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la presse algérienne, de nombreux titres de la période coloniale, qui avaient fait leur mue en 1962, auraient pu continuer à accompagner le jeune Etat indépendant, dans le respect du pluralisme, si une décision arbitraire n'était pas venue mettre un terme à tout cela en imposant l'unicité de pensée et le parti unique, qui ont fait beaucoup de mal à l'Algérie et dont on est en train de faire les frais, aujourd'hui. Fermé en 1962. Il ne s'agit pas de faire dans la nostalgie pour un passé qui ne nous appartient pas, mais de dire que des choix effectués à la va-vite peuvent avoir des effets pervers sur la liberté d'expression et sur les avancées démocratiques de façon générale.
Par contre, l'imprimerie n'a jamais fermé. Qui est Alexandre Mauguin? Né en Bourgogne, cet adolescent arrive en Algérie à l'âge de 12-13 ans. Son père était agriculteur à Cherchell. A sa mort, toute la famille s'installe à Blida. Mais les temps sont difficiles, et on n'arrive pas à joindre les deux bouts. Alexandre prend une formation en typographie dans une imprimerie à Alger, et crée, sans doute, la seule imprimerie de Blida de l'époque. L'affaire se développe, prospère, gérée de main de maître jusqu'au décès de son fondateur en 1916. Presque 60 ans à la tête d'une entreprise, c'est un règne long, jalonné de succès et d'idées novatrices. En plus de l'imprimerie, l'homme a donc aussi lancé un journal (Le Tell) et une libraire, toujours sur le même site. Le successeur est Alfred Bullinger, pour un autre long règne qui va durer jusqu'en 1945. Date à laquelle le flambeau sera transmis à son fils, jusqu'en 1987. C'est lui qui fait le choix de rester en Algérie, au lendemain de l'indépendance. Malgré l'arrêt du journal Le Tell, il continue à faire marcher l'imprimerie. Il représente la troisième génération, celle d'aujourd'hui peut donc être considérée légitimement comme la quatrième génération.
Les commandes affluent
Sage décision, car au lendemain de l'indépendance, les besoins en travaux d'imprimerie sont nombreux et les commandes affluent: de l'administration, des ministères, de l'armée. Il fallait tout faire. Cette situation de quasi-monopole va durer cinq à six ans, avant le lancement des imprimeries d'Etat, mais l'imprimerie Mauguin aura rempli son contrat. Cependant, le marché continue d'être ce qu'il est et le plan de charge reste important, d'autant plus que les clients reconnaissent à Mauguin son savoir-faire et sa finition dans le domaine reliure. Depuis un certain nombre d'années, beaucoup d'autres imprimeries ont vu le jour et la concurrence est rude, d'où la décision prise par Chantal Lefèvre de se repositionner, de prospecter d'autres créneaux. Il fallait bien sûr, acquérir d'autre machines, ne plus continuer à travailler au marbre avec des caractères en plomb, mais s'équiper en offset, installer une PAO, accorder une attention particulière aux caractères, à la typo comme elle dit, à la finition. Cette modernisation a pris en compte le fait qu'aujourd'hui, tout se fait plus rapidement. Alors que Le Tell était une presse de typo utilisant des clichés en polymère de l'époque, dont il ne reste pas grand-chose, le passage à la PAO fait surgir une autre nécessité, celui de la compétence et de la formation. Comment convertir un typographe en monteur PAO? Recyclages et stages se sont succédé pour un passage graduel à l'offset (1998), la PAO (1998). Le plomb n'était plus utilisé à partir de 1999. Et puis est venu le tour de la quadri, pour mettre l'imprimerie Mauguin au diapason de ce qui se fait de mieux sur le marché. L'imprimerie a un nom à défendre, une tradition à perpétuer, dans le domaine du caractère, mais aussi de la reliure. Il nous a été donné de visiter les ateliers reliure et encollage et de constater ce que travail bien fait signifie. Assemblage, rognage, couverture à rabat, tout ce qui fait le charme de l'imprimerie et qui confère à Mauguin ce passé fabuleux.
En l'occurrence, il s'est agi d'ouvrir carrément le créneau à la petite production éditoriale, allant de 500 à 2000 titres par an, en fonction du marché. Les maisons d'édition sont prudentes. «C'est à peu près ce que nous faisons. Si une maison d'édition me passe une commande de 10.000 exemplaires, je dis non; Moi les grands marchés me font peur. Je n'aime pas recourir à la sous-traitance.» Quant aux éditions du Tell, il est bon de savoir qu'elles sont indépendantes de l'imprimerie Mauguin. Tout cela n'aurait pas été possible sans une stabilité du personnel qui se considère comme en famille ici, et qui s'identifie totalement à l'entreprise. Cela est confirmée, par le tour que nous avons effectué en compagnie de notre photographe dans les différents ateliers de l'imprimerie. Les différents responsables, qui ont tous des décennies d'ancienneté, nous ont présenté les machines et les services avec beaucoup d'amour, et l'on sent un attachement certain à une entreprise dont ils sentent qu'ils font partie.


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