Des Etats en situation de faillite, la mauvaise gouvernance, la corruption, les conflits violents, les guerres civiles, les violations des droits humains, les crises économiques et la dégradation climatique sont essentiellement à l'origine du drame migratoire. L'arrivée relativement massive de migrants subsahariens en Algérie ces dernières années est accompagnée d'une campagne politique et médiatique nationale hostile. Des actes d'agressions caractérisées ont été commis en des endroits différents dans le pays contre ces populations. Certains «campements» abritant des familles de migrants ont fait l'objet de descentes punitives, comme ce fut le cas à Ouargla et Béchar. D'autres sont épisodiquement reconduits aux frontières dans des conditions pour le moins inhumaines. Le tout est emballé dans un discours d'exclusion, discriminatoire et raciste qui va en se banalisant. En 2015, un député islamiste avait pressé le ministre de l'Intérieur d'agir contre «le danger des migrants africains parce qu'ils sont porteurs de maladies, source de violences et de trafic de drogue». Des propos qui passent sans faire de scandale. Les médias produisent une littérature d'une extrême violence contre les «Noirs» quand, sur des chantiers de travaux publics pénibles, cette population précaire socialement et juridiquement sert de main-d'œuvre corvéable à merci. Les conditions de vie horribles des migrants venus des pays du continent et le traitement dégradant qui leur est infligé ne peuvent être masqués par les quelques initiatives citoyennes humaines et accueillantes. Déjà qu'elles ont été accablés par des trajets parsemés de souffrances et de dangers, ces populations passent d'un cauchemar à un autre non moins pire. Les propos choquants d'Ahmed Ouyahia assurant avec légèreté que «ces étrangers en séjour irrégulier sont source de crimes, de drogue et de plusieurs autres fléaux» témoignent du divorce entre le nord et le sud du continent. S'ils trahissent la pensée ultra nationaliste du directeur de cabinet de la présidence de la République, ils viennent légitimer par ailleurs le rejet violent d'une partie des Algériens des populations migrantes. Ils lèvent le voile sur une politique qui dresse des hommes et des femmes les uns contre les autres. Et surtout, ils nourrissent le rejet de l'autre et le repli et alimentent les poches de violence. Le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, enfonce gravement cette catégorie de population en affirmant sans nuancer que «derrière les flux migratoires, il y a des réseaux très organisés liés au trafic de drogue et au terrorisme. La migration clandestine constitue une menace pour la sécurité nationale (…)». Une construction idéologique fondée sur la peur qui prépare la mise en place d'une politique répressive. Faut-il s'attendre à des reconduites massives dans les prochains jours ? De fait migratoire, la présence des populations subsahariennes est devenue, selon la terminologie officielle, un «danger migratoire» qui divise profondément l'opinion publique. Mais surtout, cela révèle l'impréparation politique, juridique et matérielle du gouvernement algérien au fait migratoire. Le spécialiste des questions migratoires, Mohamed Saïb Musette, est formel à ce propos : «L'Etat algérien n'a pas de politique migratoire.» Comment un pays, qui se définit «panafricain», n'a pas su anticiper le phénomène de migration pourtant prévisible et qui va en s'amplifiant ? Pratiquant la politique de l'autruche, les autorités algériennes ont de tout temps refusé d'aborder de front cette question. Certes, elle ne peut être traitée uniquement au plan local. L'Union africaine doit être aussi le lieu approprié pour prendre en charge la «problématique» migratoire et penser sérieusement à des solutions fiables. L'intégration africaine réside certainement dans la libre circulation des Africains dans leur continent. Or cela ne doit pas occulter le rôle décisif, mais surtout positif que doit assumer le gouvernement algérien. Fermer les frontières, ériger des miradors, instaurer des lois répressives ne peuvent en aucun cas constituer une solution, encore moins stopper la circulation des personnes, «légalement ou illégalement». Rien ne pourra empêcher des êtres humains à fuir les conflits, les guerres, la misère et l'hostilité climatique. Quitter son pays n'est pas un choix pris de gaieté de cœur. Dans tous les cas, ces populations sont contraintes à l'exil. Les pays africains, dont l'Algérie, sont des «producteurs» en puissance de phénomènes migratoires. Des Etats en situation de faillite, la mauvaise gouvernance, la corruption, les conflits violents, les guerres civiles, les violations des droits humains, les crises économiques et la dégradation climatique sont essentiellement à l'origine du drame migratoire. Des situations qui poussent des millions de personnes sur les routes infernales de l'exil. L'Algérie — Etat et société — doit être solidaire en mettant en place une politique d'ouverture et en offrant aux demandeurs d'asile et aux migrants protection et sécurité. Il faut de toute urgence bannir de l'imaginaire collectif national l'indigne et abaissante image de l'homme venu des profondeurs africaines. L'Algérie doit assumer sa part d'humanité. Elle peut être une terre d'accueil. C'est l'essence même de son existence.