Après avoir été entendu une première fois par le doyen des juges près le tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, le principal accusé dans le détournement des 21 milliards de dinars de la Banque nationale d'Algérie (BNA), Abderrahmane Achour, détenu à Serkadji, est convoqué une seconde fois pour être interrogé sur des questions de fond liées à l'affaire. Selon des sources judiciaires, Abderrahmane Achour, patron de National Plus, extradé du Maroc avec son associé Aïnouche Rabah et sa secrétaire, après des mois de bataille juridique, s'est déclaré disposé à rembourser une partie des sommes qu'il aurait subtilisées de la banque pour être utilisées à des fins personnelles, sachant que l'autre partie, peut-être la plus importante, a servi à acheter le silence et la complicité de nombreuses personnalités et cadres de l'Etat, notamment au sein de la police et de la banque. En effet, l'instruction devrait élucider les circonstances du détournement d'une somme de 21,7 milliards de dinars, 217 millions de dollars, et surtout situer les responsabilités des cadres de la banque et de la police, notamment la brigade économique qui avait ouvert une enquête en 2004, pour la fermer en l'espace de trois jours, en la déclarant infructueuse alors que l'hémorragie avait commencé en 2002 et ne s'est arrêtée que vers la fin 2005. Selon l'expertise judiciaire, la technique utilisée pour subtiliser ces montants colossaux est très simple, mais qui ne peut être réussie sans la complicité des responsables des agences de la banque, mais également de ses instances de contrôle au niveau local et central. En effet, cette expertise a relevé des émissions et des encaissements de 1946 chèques par une société écran, dénommée National Plus, appartenant à Achour Abderrahmane et dont les montants ont été par la suite encaissés en espèces par Aïnouche Rabah, secrétaire particulier de Achour Rabah et son associé dans d'autres sociétés. Ces fonds ont servi à l'achat de billets d'avion pour des voyages et de luxueux cadeaux offerts à des responsables de la BNA et à des cadres de la police dans le but de s'assurer de leur silence et de leur complicité. En fait, Achour Abderrahmane et Aïnouche Rabah ont encaissé des chèques libellés au nom de leurs sociétés sans pour autant que les comptes de ces dernières ne soient mouvementés. Selon l'expertise, ces sociétés sont Eurl Mamouna, Prodirom, Sarl National Plus, Bitomat et Nasin (ETP). Plusieurs autres chèques ont été par contre encaissés par des personnes physiques, à savoir Settouf Djamel Ali, Aïnouche Rabah et Achour Abderrahmane. C'est l'agence de Bouzaréah, dont le directeur, Timadjer Omar, est actuellement en fuite à l'étranger, plus précisément à Londres, qui jouait le rôle principal dans cette opération de détournement. Les chèques impayés, encaissés, ne faisaient que tourner durant quatre ans (entre 2001 et 2005) entre cette agence et celles de Koléa, de Cherchell, puis vers la fin de 2005, entre les agences de Zighout Youcef et de Baba Hacène. Lorsque la somme subtilisée de l'agence de Bouzaréah est devenue trop importante, ce sont les succursales de Cherchell, puis de Koléa, de Zighout Youcef et de Baba Hacène qui ont pris le relais pour enrichir les deux pseudo-opérateurs. La cerise sur le gâteau a été l'obtention en 2005, par l'une des sociétés de ces derniers, d'un important marché pour la réalisation d'un tronçon de l'autoroute Est-Ouest. Comment un tel marché peut-il être affecté à des sociétés nouvellement créées et dont les comptes sont rarement approvisionnés ? Une question à laquelle l'enquête devrait apporter une réponse. Des centaines de milliers d'euros En fait, une grande partie de l'argent détourné a été échangée sur le marché informel pour être dépensée dans des casinos français, comme celui de Dauville ou d'Enghien (banlieues parisiennes). Des proches de Achour ont affirmé que les sommes laissées dans ces lieux de loisirs de luxe dépassent les centaines de milliers d'euros. Achour aurait également remis un chèque à la première épouse d'un commissaire (suspendu pour une autre affaire) pour acheter un restaurant en plein cœur de la capitale et avancé en espèces le montant d'un appartement situé au quartier des Annassers vendu par une chanteuse très connue à Alger à sa deuxième épouse. Ce commissaire n'est pas le seul à avoir bénéficié des « largesses » de Achour, puisque d'autres, actuellement en poste au niveau d'Alger, ont également reçu des voitures de luxe en cadeaux et des billets d'avion pour des séjours touristiques en Espagne et en France pour eux et leurs familles. Ce qui explique le fait qu'il (Achour) a pu quitter l'aéroport d'Alger alors que le mandat d'arrêt avait été notifié par le parquet d'Alger à la police judiciaire. Il est important de signaler également que Achour a investi une bonne partie des fonds au Maroc dans l'acquisition d'une usine d'emballage et d'une briqueterie à Kenitra au Maroc. Dès son arrivée au Maroc, il a dépensé des sommes importantes dans les cadeaux offerts à de grandes personnalités marocaines, notamment des généraux de la police. Il aurait même offert la dernière BMW à un membre de la famille royale. Il s'est vite marié à une ressortissante marocaine et inscrit une partie de ses biens au nom de celle-ci. La BNA est actuellement en train de préparer une procédure pour permettre leur saisie. L'arrestation de Achour au Maroc au début de l'année, nous a-t-on précisé de source sécuritaire, a été permise grâce à une ressortissante algérienne, invitée à une réception de l'ambassade d'Algérie au Maroc, qui a été surprise de trouver Achour parmi les invités. Elle a exprimé sa colère à l'ambassadeur, lequel a saisi les autorités judiciaires. Dans ce grand scandale, dix-sept personnes ont été présentées au parquet, puis devant le magistrat instructeur qui a délivré huit mandats de dépôt, notamment à l'encontre de l'adjoint du directeur de l'agence de Bouzaréah, de celui de l'agence de Cherchell, de la section de Bouzaréah, de l'adjoint du directeur de Cherchell, du directeur de la section de Koléa et du directeur régional de Koléa. Le magistrat a également placé cinq autres personnes sous contrôle judiciaire, entre autres le directeur du réseau exploitation et de nombreux commerçants. Des proches de Achour s'attendent donc à des révélations fracassantes qui pourraient impliquer de hauts cadres de la police au niveau d'Alger et de Tipaza (dans cette wilaya, certains cadres ont déjà été suspendus par leur hiérarchie dans le cadre de cette affaire), avec lesquels Achour, et ce, même si Timadjer Omar, le directeur de l'agence de Bouzaréah, qui a joué un grand rôle dans les mouvements de fonds, actuellement en fuite en Grande-Bretagne, sera absent des débats.