Les trois principaux mis en cause dans le détournement des 21 milliards de dinars des fonds de la Banque nationale d'Algérie (BNA) arriveront aujourd'hui en Algérie, suite à leur extradition du Maroc, à la demande de la justice algérienne. Il s'agit de Achour Abderrahmane, patron de la société privée National Plus, son associé, Aïnouche Rabah, et une de ses secrétaires. Arrêtés le 14 janvier dernier à Casablanca sur la base d'un mandat d'arrêt international, lancé par le tribunal de Sidi M'hamed près la cour d'Alger, en décembre 2005, les trois prévenus vont être remis aux autorités judiciaires du pays après une rude bataille juridique à l'issue de laquelle la Cour suprême du royaume chérifien a répondu favorablement à la demande de l'Algérie. Présentés devant le parquet de Casablanca, ils ont été placés en détention à la prison de Salé, en attendant l'examen de la demande d'extradition introduite par la justice algérienne. Lors de la première audience, la défense des prévenus a plaidé l'innocence et la mise en liberté, arguant du fait que les prévenus ont fait l'objet « d'une cabale politique pour leur prise de position contre le Sahara occidental ». L'affaire a été mise en délibéré. Entre-temps, elle a convoqué les avocats de la partie civile pour être entendus sur ces points. Ces derniers ont récusé l'argumentation de la défense des prévenus et présenté un dossier complet et documenté sur les opérations de détournement orchestrées par les mis en cause entre 2002 et 2005 avec la complicité de certains responsables de la banque. Après avoir entendu les deux parties et à la faveur des nouveaux éléments apparus dans le dossier, la Cour suprême a annulé la procédure en délibéré qu'elle avait prononcée vers fin février et décidé de maintenir en détention les prévenus, avant de statuer en faveur de l'extradition. Néanmoins, celle-ci était tributaire de l'aval des autorités politiques, lesquelles ont fini par l'appuyer récemment. Une équipe de policiers a été dépêchée la semaine dernière pour les formalités de la procédure et devra donc rentrer au pays aujourd'hui avec les trois mis en cause. Cette affaire a fait couler beaucoup d'encre de par l'importance du montant détourné et la facilité avec laquelle l'argent public a été dilapidé. En effet, selon l'expertise judiciaire, le préjudice financier causé à la BNA a dépassé la somme de 21,7 milliards de dinars grâce à une technique très simple, mais qui ne peut être réussie sans la complicité des responsables des agences de la banque et de ses instances de contrôle. Elle a fait état d'émissions et d'encaissements de 1946 chèques par une société écran, dénommée National Plus, appartenant à Achour Abderrahmane, et dont les montants ont été par la suite encaissés en espèces par Rabah Aïnouche, secrétaire de Rabah Achour, et son associé dans d'autres sociétés. Ces fonds ont servi, entre autres, à l'achat de billets d'avion pour des voyages et de luxueux cadeaux offerts à des responsables de la BNA et des cadres de la police dans le but de s'assurer leur silence et de leur complicité. Révélations attendues Une grande partie de l'argent détourné a été échangée sur le marché informel contre de la devise pour être investie dans l'installation d'une usine d'emballage au Maroc, (ayant coûté près 300 millions de dollars), mais aussi l'achat de la briqueterie du défunt Mohamed Boudiaf, située à Kenitra au Maroc. L'expertise a expliqué que Achour Abderrahmane et Rabah Aïnouche ont encaissé des chèques libellés au nom de leurs sociétés sans pour autant que les comptes de ces dernières ne soient mouvementés. Il s'agit des sociétés Eurl Mamouna, Prodirom, Sarl National Plus, Bitomat et Nasin (ETP). Plusieurs autres chèques ont été par contre encaissés par des personnes physiques : Settouf Djamel Ali, Aïnouche Rabah et Achour Abderrahmane. C'est l'agence de Bouzaréah, dont le directeur Omar Timadjer est actuellement en fuite à l'étranger, plus précisément à Londres, qui jouait un rôle principal dans cette opération de détournement. Les chèques impayés, encaissés, ne faisaient que tourner durant quatre ans (entre 2001 et 2005) entre cette agence et celles de Koléa, de Cherchell, puis vers la fin de 2005, entre les agences de Zighout Youcef et Baba Hacène. Lorsque la somme subtilisée de l'agence de Bouzaréah est devenue trop importante, ce sont les succursales de Cherchell, puis de Koléa, de Zighout Youcef et de Baba Hacène qui ont pris le relais pour enrichir les deux pseudo-opérateurs. La cerise sur le gâteau a été l'obtention en 2005, par l'une des sociétés de ces derniers, d'un important marché pour la réalisation d'un tronçon de l'autoroute Est-Ouest. Comment un tel marché peut-il être affecté à des sociétés nouvellement créées et dont les comptes sont rarement approvisionnés ? Dans ce grand scandale, dix-sept personnes ont été présentées au parquet, puis devant le magistrat instructeur qui a délivré huit mandats de dépôt, notamment à l'encontre de l'adjoint des directeurs des agences de Bouzaréah et de Cherchell, du directeur de la section de Bouzaréah, de l'adjoint du directeur de Cherchell, du directeur de la section de Koléa et du directeur régional de Koléa. Le magistrat a également placé cinq autres personnes sous contrôle judiciaire, entre autres le directeur du réseau exploitation et de nombreux commerçants. Ainsi, l'extradition de Abderrahmane Achour risque de remettre à zéro le compteur de l'instruction de ce grand scandale, qui a éclaté en 2005 à la suite d'un courrier anonyme alertant les plus hautes autorités du pays sur des mouvements de fonds suspects opérés dans les agences de Koléa, de Bouzaréah et de Cherchell vers des comptes non alimentés de commerçants et de sociétés écrans et sans qu'ils ne soient mentionnés dans les registres bancaires. La première mission de contrôle interne, dépêchée par l'inspection générale près de la BNA, n'a rien décelé d'anormal. Mieux, même les services de la brigade économique d'Alger et de Tipaza, saisis en début de l'année 2004, sur instruction de la direction de la police judiciaire (Chateauneuf) ont, en l'espace de quelques jours seulement, classé le dossier, après avoir déclaré l'enquête infructueuse. Une année plus tard, une autre enquête a été ouverte et, cette fois-ci sur instruction des plus hautes autorités, a levé un véritable lièvre. Une plainte a été déposée par la direction générale de la banque auprès du parquet de Sidi M'hamed. Abderrahmane Achour aura donc à élucider cette affaire et à dénoncer ceux qui lui ont permis de détourner des sommes aussi colossales. Il aura également à révéler les circonstances de sa sortie du territoire national, en dépit du mandat d'arrêt lancé à son encontre ? Des proches de Achour n'écartent pas des révélations qui pourraient impliquer des hauts cadres de la police au niveau d'Alger et de Tipaza, avec lesquels il entretenait des relations étroites. Ces cadres auraient eux aussi profité des largesses de Achour qui les noyait de voyages à l'étranger et de somptueux cadeaux, entre autres des voitures de luxe. Ainsi, l'entrée dans cette affaire de Abderrahmane Achour dans l'instruction va donner un nouveau départ à l'affaire. Des révélations fracassantes sont donc attendues, même si Timadjer Omar, le directeur de l'agence de Bouzaréah, qui a joué un grand rôle dans les mouvements de fonds, en fuite en Grande-Bretagne, sera absent des débats…