Par Lina Kennouche (*) L'opération spectaculaire à proximité de la mosquée d'Al Aqsa à Jérusalem-Est et les affrontements entre Palestiniens et forces d'occupation qui s'en sont suivis ont ravivé les craintes chez les Israéliens d'une intifadha généralisée. Après l'attaque du 14 juillet qui a fait deux morts et un blessé parmi les policiers israéliens et coûté la vie à ses auteurs, les forces d'occupation ont mis à profit la dégradation du contexte sécuritaire pour renforcer leur emprise sur l'Esplanade des Mosquées. Installation de portes de contrôle et fouilles systématiques sont les mesures de sécurité prises par les autorités israéliennes, mais les Palestiniens, en signe de protestation et de résistance à l'intrusion coloniale dans leur vie culturelle et religieuse, ont refusé d'accéder à l'Esplanade. Après le bouclage permanent et complet de la ville, la mise en œuvre d'une stratégie visant à réduire la population palestinienne à Jérusalem et augmenter la présence juive, cette nouvelle confrontation pourrait être le prétexte à une accélération de la politique de judaïsation de la ville. En effet, les restrictions d'accès à la mosquée sont considérées par les Palestiniens comme une violation du statu quo trouvé depuis 1967 (et garanti par le droit international) entre les forces d'occupation israéliennes et l'autorité de la mosquée pour permettre aux fidèles de visiter le site religieux. Profitant du contexte, les colons ont redoublé d'activisme en appelant à une manifestation le 20 juillet pour s'emparer de la mosquée et concrétiser leur projet de construction du 3e temple qui impliquerait la destruction du Dôme du Rocher et de la mosquée Al Aqsa. Vendredi la tension a atteint un pic avec la décision de maintenir les portes équipées de détection de métaux aux abords de l'Esplanade et d'interdire l'accès à la vieille ville aux hommes de moins de 50 ans. La politique de judaïsation accélérée s'inscrit en réalité dans une stratégie plus globale, que le sociologue israélien Baruch Kimmerling qualifie de «politicide» dans son ouvrage du même titre, à savoir «une stratégie politico-militaire, diplomatique et psychologique ayant pour but la dissolution du peuple palestinien comme entité économique, sociale et politique légitime et indépendante». Baruch Kimmerling, analysant le défi démographique, montre que l'accroissement de la population palestinienne des Territoires occupés en 1948 et 1967 remet en cause la nature exclusivement juive de l'Etat israélien. Face à ce défi démographique, l'émergence d'une coalition stable de la droite ultra nationaliste israélienne favorise la politique de destruction méthodique des conditions d'existence du peuple palestinien. Or, cette politique pourrait avoir un coût élevé pour Israël dans un contexte régional et interne profondément modifié. La résistance, fait politique irréductible du système colonial, se renforce en raison des contradictions du système politique israélien qui le conduit à durcir chaque jour sa stratégie d'expansion et de judaïsation de la Palestine. Bien que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, tente de parier aujourd'hui sur le soutien du président américain, Donald Trump, pour renverser le statu quo, le temps ne joue pas en faveur d'Israël. En écho à la radicalisation du gouvernement israélien, le peuple palestinien intensifie sa résistance au point d'agir en dehors du cadre des partis politiques traditionnels palestiniens : l'entrée en résistance des Palestiniens de 1948, avec l'intifadha des couteaux en 2015, en est l'illustration parfaite. Jérusalem apparaît désormais comme le champ de bataille ultime, où s'affrontent la politique de colonisation et le projet de résistance palestinien, qui, en dépit des apparences, ne cesse de se revigorer. La mobilisation populaire met également à nu le rôle historique de l'Autorité palestinienne qui se réduit à un appareil de répression au service de l'occupation pour démanteler les organisations de résistance palestiniennes. En dépit de la gravité de la situation autour de l'Esplanade, le discours prononcé par le président de l'Autorité, Mahmoud Abbas, lors de sa rencontre à Pékin avec le chef de l'Etat, Xi Jinping, mardi, n'y a pas fait la moindre allusion. Dans un contexte où ses soutiens traditionnels sont divisés entre, d'un côté Israël et les Etats-Unis et, de l'autre, l'Egypte et les Emirats arabes unis pariant sur M. Dahlan pour remplacer M. Abbas, le scénario d'un embrasement généralisé pourrait accélérer l'implosion de l'Autorité. L'évolution globale au Moyen-Orient, marqué par un changement dans les rapports de force, une autonomisation relative des acteurs régionaux et des contradictions dans les rangs des puissances alliées, rendent la situation imprévisible. Un bouclage durable et étendu de l'Esplanade des Mosquées pourrait constituer le détonateur d'une révolte généralisée. Des organisations de résistance comme le Djihad islamique et le Hamas ont laissé entendre que toutes les options restaient ouvertes. Comme l'a noté le géostratège israélien Arnon Shoffer : «Les facteurs principaux qui menacent la survie d'une organisation ne s'incarnent pas dans un événement dramatique, spectaculaire, mais des processus lents, graduels, dont on n'a, en général, pas conscience.» Aveugle à ses propres intérêts, Israël a atteint un seuil critique qui renforce la dynamique, imperceptible, à l'œuvre dans l'effondrement du système colonial. En 2007, dans un entretien accordé à Haaretz, l'ancien président de la Knesset, Avraham Burg, concluait déjà : «L'œuvre sioniste est bâtie sur de l'illusion. Pensez-vous sérieusement que Tel-Aviv va rester éternellement cette entité post-sioniste éthérée ? Israël n'est qu'un corps sans âme.» (*) Doctorante à l'université Saint Joseph de Beyrouth