Ces mesures à caractère d'urgence visent à assurer l'écoulement d'une partie des stocks de matériels agricoles des entreprises publiques économiques», est-il écrit dans le relevé des conclusions du Conseil interministériel du 6 août 2006 portant «Soutien à l'écoulement des matériels agricoles de fabrication locale». L'urgence sur laquelle insistait Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement de l'époque, se justifiait, semble t-il. Et pour cause : EMO et Etrag, deux entreprises publiques activant dans le machinisme agricole, qui fabriquaient depuis les années 1970 des moteurs et tracteurs agricoles «Cirta» sous licence Deutz (marque allemande) au complexe de Oued Hamimime, près d'El Khroub (Constantine), fleuron de l'industrie du machinisme agricole. Le parc national compte 600 000 à 700 000 unités. Le gouvernement, pour aider les agriculteurs et les entreprises publiques, avait décidé de mettre en œuvre, en 2006, un programme de soutien à «la production nationale» ; 25% (tracteurs petit modèle), 30% (tracteurs modèle moyen) et 35% (tracteurs grand modèle), soulignent nos sources. Et la situation des surstocks, à quoi était-elle due ? «Au même titre que les moissonneuses-batteuses, les tracteurs Cirta (65 chevaux) qui se fabriquaient à Etrag Constantine étaient également exportés, surtout vers l'Irak. D'ailleurs, la PMAT (Production matériel agricole et trading), spécialisée dans la distribution de matériels agricoles, avait été créée exclusivement pour le marché irakien et l'export. Mais, avec le déclenchement de la guerre dans ce pays en 2003, l'entreprise ne pouvait plus exporter ses engins. S'en était alors suivie une mévente chronique. D'où le déploiement du dispositif gouvernemental de soutien.» Et, poursuivent nos sources, pour tenter, en quelque sorte, d'amortir l'impact de la perte du marché irakien, «la tutelle avait opté pour la production de la gamme 100 chevaux qui sera abandonnée moins de deux ans plus tard. La voie s'était ainsi ouverte davantage aux tracteurs 80 et 150 chevaux Same-Deutz (la branche agricole de l'allemand Deutz rachetée par l'italien Same)».
Importation déguisée Ce fournisseur italien se serait même engagé à s'associer aux algériens pour fabriquer localement ces 80 et 150 CV mais «à une condition, l'allègement accepté par les nôtres ; la conclusion préalable d'un contrat de vente portant sur 3000 tracteurs et des quantités phénoménales de pièces de rechange. Seront ainsi importés, entre 2004-2006, un premier quota de 755 tracteurs et une partie des quantités contractuelles qui se trouvent à ce jour en caisses stockées à Constantine, donc vouées à la ferraille», se souviennent, encore, nos sources du défunt groupe Equipag. Et le partenariat dont il était question, a-t-il abouti ? «Malheureusement non, l'opération a échoué. Situation fort embarrassante qui avait amené les décideurs à rechercher quelles pouvaient être les solutions les plus efficaces à même d'aider à se débarrasser des stocks de machines encombrantes. La solution trouvée, le dispositif de soutien mis en place en 2006». Ainsi, trouve, également, explication le «caractère d'urgence» des dispositions prises en Conseil interministériel 6 août 2006, en présence, en autres, de Bachir Dehimi, président de la SGP Equipag, Salah Attouchi, PDG de PMAT, Bachir Allaoua, PDG CMA, Saïd Barkat, alors ministre de l'Agriculture et du Développement rural et Mourad Medelci, ministre des Finances, et ce, aux fin d'assurer «l'écoulement des stocks de matériels agricoles des entreprises publiques», surtout les machines Same-Deutz. C'est curieusement à cette même marque italienne, SAME Deutz-Fahr (SDF), laquelle, faut-il le souligner, avait intégré, en 2003, la société finlandaise Sampo Rosenlew (partenaire de l'Algérie dans les moissonneuses-batteuses) que s'associera, début 2013, un groupe privé de la région Ouest du pays pour la création d'une usine de montage de tracteurs sous la marque «Deutz-Fahr». Avec l'apport logistique de «sous-traitants nationaux déjà identifiés pour accompagner le projet de l'usine automobiles du constructeur français Renault d'Oran», annonçait le patron du groupe privé, l'unité devait atteindre, à son démarrage, 25% de parts de marché national dont la demande avoisinerait 12 000 tracteurs/an. Lui, au moins, a eu le mérite d'user du terme «montage» et non pas celui de «fabrication» dont s'enorgueillissent nos décideurs à chaque fois que l'occasion leur était donnée. Pour preuve, moins d'une année avant ce partenariat privé algéro-italien, AGCO Massey-Ferguson, déjà présent dans la filière des moissonneuses-batteuses «made in Algeria», refera surface. Une co-entreprise regroupant ce colosse américain du machinisme agricole, qui serait domicilié à Londres, l'Etrag Constantine et PMAT, avait, en effet, été créée 2012 pour la «fabrication» sur le site de Constantine de différentes gammes de tracteurs avec, au départ, une capacité de 3500 unités/an avant de passer à au moins 5000 engins/an à partir de 2018-2019. Or, comme dans la filière de l'industrie automobile, «ces tracteurs des gammes 80, 120 et 150 CV se fabriquent au Brésil, arrivent en Algérie par containers pratiquement assemblés, passent dans les ateliers du complexe de Constantine, où l'on se limite à y placer les roues et les ailes arrivant également par container», s'indignent nos sources. Comment peut-on, dans ce cas, parler d'équipements agricoles fabriqués localement ? Surtout que les niveaux des aides directes instaurées en 2006 avaient été revues à la hausse conformément aux nouvelles dispositions introduites en juin 2009 : «30% et 35% à titre individuel et collectif pour les 80 CV, 35% et 40% (80 à 100 CV) et enfin 40% et 50% pour les fortes puissances de 100 CV et plus». Et ce, avant que le même dispositif ait fait l'objet de réaménagements, en mars 2017, sur instruction de Abdelmalek Sellal (note n° 164 du 19 janvier 2017), ordonnant l'application de 2 650 00 DA pour les tracteurs de moins de 80 CV, 4 590 000 DA (80 à 100 CV) et 8 800 000 DA (100 CV et plus) avec respectivement 10, 25 et 30% au titre de subventions. En outre, ce que nos décideurs se seraient toutefois bien gardés de préciser, toujours à propos des tracteurs Massey Ferguson, c'est que «le géant américain, avant d'étendre son activité en Algérie à la tractation agricole, avait exigé le renoncement définitif au produit Cirta, fleuron de l'ère Boumediene ; en d'autre termes, que la marque locale ne soit plus fabriquée et disparaisse complètement du marché national d'ici à 5 ans, 2012 à 2017. La finalité, libérer la voie au Massey-Ferguson», se révoltent nos sources. Que va donc devenir le parc national équipé à 100% Cirta ? Convoitises Question que d'aucuns se posent parmi les travailleurs de la terre qui disent qu'ils ne sont pas être près de se séparer de leurs «Cirta» : «Les pièces de rechange pour les 600 à 700 000 tracteurs Cirta, qui va les fournir puisque le gouvernement a opté pour l'américain Massy Ferguson alors que les tracteurs Cirta sont à 100% algériens ? Pis, ces mêmes Américains ont exigé l'arrêt total des Cirta que l'Algérie fabriquait depuis 1971 avec l'allemand Deutz et dont nous nous sommes rarement, si ce n'est jamais plaints», assurent, à l'unanimité, nombre d'agriculteurs de la Coopérative agricole régionale spécialisée en cultures industrielles CARSCI Lalaymia Lakhdar-Annaba et tant d'autres, spécialisés dans la céréaliculture, que nous avons rencontrés au siège de la Chambre d'agriculture ou à la CCLS Annaba au moment de la livraison de leurs moissons de la présente saison. Une quasi même formule sera, par ailleurs, appliquée à d'autres outils agricoles, à en croire nos sources : «Les semoirs de marque Sola importés d'Espagne avec les deux roues démontées et remontées ici en Algérie pour pouvoir bénéficier du soutien de l'Etat de 30%. Alors qu'il y a quelques années, ces engins étaient fabriqués intégralement au CMA de Sidi Bel Abbès. Comment peut-on arrêter la production nationale pour la remplacer par des semoirs étrangers que l'on fait passer pour un produit local et prétendre au soutien de l'Etat de 30 % ?» Idem pour les charrues Gregoire et Besson, deux marques françaises : «Ces charrues sont importées de France, démontées en France, importés dans des containers. Dans les usines publiques algériennes, on se limite au boulonnage ; le produit devient made in Algeria et l'application du dispositif de soutien de l'Etat (30 %) est ainsi justifiée. En Algérie, le taux d'intégration est synonyme de deux heures de main-d'œuvre pour placer les roues et les boulons et apposer l'étiquette locale», toujours selon nos interlocuteurs. Toutes ces informations recueillies ça et là n'ont, malheureusement, pas pu être vérifiées ; nos multiples tentatives de joindre par téléphone (lignes fixes), depuis plus d'une semaine, les PDG de CMA, PMAT, ETRAG, ou encore les responsables du directoire de l'ex-groupe Equipag, devenu Groupe mécanique dans le sillage de la nouvelle réorganisation des groupes industriels opérée par Abdesselam Bouchouareb, en février 2015, et dont relèvent toutes les entreprises publiques de la filière de l'industrie du machinisme et matériels agricoles, étaient infructueuses : «En réunion, en déplacement à l'étranger ou en congé… Il faut envoyer vos questions par fax», nous répondait-on à chaque fois. S'avéreraient, si l'on se réfère au sombre tableau dressé par nos sources, tout aussi infructueuses les stratégies jusque-là adoptées visant à doter le pays de sa propre véritable industrie de machinisme agricole et d'un tissu de sous-traitance local censé l'accompagner. C'est dire que la filière, à l'image de sa semblable de l'automobile, est et restera encore au cœur de folles convoitises de tous horizons. En témoignent les partenariats en cascade qui se suivent et se ressemblent : les plus récents scellés avec, entre autres, la firme italienne Goldoni pour la «fabrication» de mini-tracteurs, ses compatriotes Solà pour les semoirs et Merlo pour les tracteurs à nacelle. Le tout dernier, en mai 2015, avec la portugaise Galucho pour la «fabrication», sur le site de CMA Sidi Bel Abbès, d'une gamme variée de matériels et d'engins agricoles, dernière génération : «Avec ce partenariat dans le domaine de l'industrie du machinisme agricole, qui complète ceux déjà réalisés pour la production de tracteurs agricoles et de moissonneuses-batteuses de nouvelle génération (Massey-Ferguson), le Groupe mécanique pourra ainsi couvrir les besoins du secteur de l'agriculture en machinisme et matériel agricole de technologie récente fabriqué sous le label de constructeurs de renommée mondiale», s'était empressé de déclarer, euphorique et fier, Abdesselam Bouchouareb, lors de la cérémonie de signature des statuts de la co-entreprise algéro-portugaise.