Le président tunisien place la barre de civilité très haut pour les islamistes d'Ennahdha, en voulant l'égalité dans l'héritage et l'abrogation de la circulaire 1973 interdisant le mariage de la Tunisienne à un non-musulman. Test dur pour les équilibristes islamistes obligés de plaire dans une conjoncture internationale qui leur est défavorable. Le président tunisien place la barre de la civilité très haut pour les islamistes d'Ennahdha en voulant l'égalité dans l'héritage et l'abrogation de la circulaire 1973 interdisant le mariage de la Tunisienne à un non-musulman. Test dur pour les équilibristes islamistes obligés de plaire dans une conjoncture internationale qui leur est défavorable. Le président Béji Caïd Essebsi n'y est pas allé de main morte pour reconquérir l'électorat féminin à l'occasion de la Fête des femmes, correspondant en Tunisie à l'anniversaire de la proclamation du code de statut personnel, le 13 août 1956. Dans son discours, avant-hier, le président tunisien a annoncé que l'islam n'est pas opposé à l'égalité dans l'héritage. Il a également préconisé l'abrogation de la circulaire interdisant le mariage de la Tunisienne à un non-musulman. Pour le passage à l'acte, Béji Caïd Essebsi a annoncé la création d'un comité des libertés individuelles et de l'égalité auprès de la présidence de la République, chargée de présenter un rapport sur les réformes en rapport avec les libertés individuelles et l'égalité en se fondant sur les dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014. BCE offensif Ce comité est présidé par la députée Bochra Belhaj Hamida, féministe progressiste et ex-présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates. Parmi ses membres figurent les universitaires éclairés Slim Laghmani, Abdelmagid Charfi et Iqbal Gharbi. Avec une pareille équipe, les observateurs pensent que le président tunisien est loin de chercher le compromis avec les islamistes d'Ennahdha. «BCE veut plutôt obliger Ghannouchi et Ennahdha à dévoiler leur face conservatrice sur la très délicate question de la femme en Tunisie, ce qui éloignerait l'électorat féminin du sillage islamiste, à deux ans de l'échéance 2019», pense le député Mustapha Ben Ahmed. Le président du bloc national à l'ARP considère que les dernières initiatives du président de la République visent à créer des lignes de démarcation avec Ennahdha, sur des terrains où les islamistes sont handicapés, comme celui de la femme. Les réactions du côté des islamistes ne se sont pas fait attendre. Ainsi, et si le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, ne s'est pas prononcé vu qu'il est à l'étranger, alors que son bureau s'est limité à dire qu'Ennahdha va participer à ce dialogue, le dirigeant islamiste Abdellatif Mekki, député et ex-ministre de la Santé sous la troïka, a considéré «dangereuses» de telles déclarations du président de la République parce que «la question est tranchée (selon Mekki) sur les plans religieux et constitutionnel. Il est clair que le Président a son propre agenda politique alors que le pays a plutôt besoin de consensus et que l'on se concentre sur les questions économiques et sociales». Le député Mustapha Ben Ahmed pense, quant à lui, que le président Béji Caïd Essebsi veut provoquer de telles réactions hostiles à l'idée de l'égalité de l'héritage pour dévoiler Ennahdha au public et montrer que les islamistes n'ont pas évolué. Mariage de la Tunisienne Le président tunisien ne s'est pas limité à la question de l'égalité dans l'héritage, il a également appelé le ministre de la Justice à retirer la fameuse circulaire de 1973 empêchant le mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans. En procédant de telle sorte, le Président a mis en difficulté le gouvernement dans la mesure où l'équipe de la Kasbah n'est pas homogène et qu'une telle décision, même s'il ne s'agit que de l'abrogation d'une circulaire, nécessite un consensus sur un sujet délicat où s'entremêlent religion et tradition. Il est certes vrai que cette circulaire est, aujourd'hui, jugée contraire à l'esprit même de la Constitution adoptée en grandes pompes le 27 janvier 2014 et aux droits fondamentaux de l'homme édictés dans les chartes des Nations Unies et notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mais, il est évident aussi que les islamistes, partie prenante du pouvoir, refusent une telle abrogation. Casse-tête pour Youssef Chahed, à la tête d'une équipe composée d'hommes et de femmes de divers horizons politiques. En termes pratiques, l'interdiction ayant été instaurée par une circulaire, le principe du parallélisme des formes implique son annulation par une simple circulaire. Mais la difficulté n'est pas là. Il est à rappeler que des organisations de la société civile ont, ces derniers mois, lancé une campagne sur cette question, et une plainte a même été déposée auprès du Tribunal administratif pour annuler la circulaire. Par l'opération «coup de poing», lancée depuis mai, contre les gros bonnets de la contrebande et la corruption, les offensives de charme de Youssef Chahed dans les zones déshéritées, comme Tataouine et Jendouba, et cette initiative en faveur des femmes, Béji Caid Essebsi est en train de reconquérir l'électorat qui l'a fait gagner en 2014. Toutefois, on attendra la réaction des islamistes, même affaiblis par la conjoncture internationale, pour voir où se dirige la tendance.