Par Ahmed Ammour (*) ça ne s'entend pas encore très fort. Même si des milliers de fans se sont rués sur les réseaux sociaux pour «aimer». Deux jumeaux, sensibles à leurs ancêtres et à leurs congénères, là où ils se trouvent. De la vraie musique de jeunes qui constitue une issue de secours, un rempart au temps qui court, une clé d'entrée et de sortie dans un cocon qui a besoin d'éclore. Si quelqu'un nous accuse de régression, de retomber en adolescence, on pourra toujours répondre que Nonor et Karim ont des alibis. C'est ainsi qu'ils s'appellent ces deux frères, deux jumeaux, deux vrais jumeaux, contraires et complémentaires. Ils quittent leur «Iferhounene» natal en 2003 pour atterrir en France avec comme seul bagage leur pathologie musicale qui leur a été transmise dès leur jeune âge par leurs frères Said et Hakim. Au départ, ils ont commencé par quelques morceaux à travers lesquels ils refont un pèlerinage de certains classiques de la chanson algérienne. C'était suffisant pour savoir qu'ils pouvaient conquérir le monde musical. Des reprises qui ont visé une meilleure qualité de son, pour des chansons solaires. C'est en 2015, qu'«à deux», ils ont décidé de se lancer en groupe. Apollon, Dieu des arts, du chant, de la musique et de la beauté masculine, a dû être séduit. La Grèce est un pays méditerranéen, l'Algérie aussi. Nonor et Karim font la rencontre de Didine, issu de Timezrit à Béjaïa, un musicologue impliqué, qui a rajouté sa touche professionnelle à un terreau qui ne demandait qu'à être mieux arrosé. Khiredinne Kati, alias Didine, de l'avis appuyé des deux comparses, leur a apporté de nouvelles textures, des trouvailles musicales, brodées ensemble pour tisser de beaux morceaux mélodiques. Les arrangements de Didine ne donnent pas naissance, en effet, comme on pourrait le croire, à des écoutes obscures ou à «du déjà entendu», mais à des tubes à la fois ultra bien ficelés et complètement à la page. Au sujet des deux trouvailles, il avoue que c'est lui qui s'est approché d'eux lors d'une soirée où leur verve et leur originalité ne l'ont pas laissé indifférent : «J'ai compris qu'il y avait en eux quelque chose de différents. Deux jumeaux, deux voix, un mandole.» La rencontre avec Didine en a appelé d'autres. Des rencontres qui peuvent paraître improbables, mais ô combien fructueuses. Des musiciens de talent venus de divers horizons et de sous des ciels que rien en apparence de destinait à réunir. Hormis les incontournables Rabah Khalfa, Amar Chaoui, Djamal Hamiteche, Malik Kerrouche, on trouve Dimitri Fonseka, Martin Berauer, Marion Gourvest, Zorica Stajonevic, Hugo Proy, Sacha Lounis qui dit retrouver en Amzik cette Algérie qu'il n'a jamais connu. «Je ne savais pas que la musique de mon pays pouvait être aussi belle», dira-t-il. Dimitri Fonseca, un Sri-Lankais, est catégorique : «C'est un groupe qui fera parler de lui.» Une preuve s'il en faut que la musique ne s'embarrasse pas de frontières. Hugo Proy enchaîne en reconnaissant en Amzik un style différent. «Moi qui ne connaissais rien de la musique kabyle. Je découvre agréablement qu'elle n'est nullement cloitrée, mais au contraire très accessible et tend largement les mains à l'universel.» Enfin, un autre musicien venu du pays du classique, Martin Berauer, le bassiste autrichien dit être avec le groupe depuis sa création : «Nous essayons de transmettre des émotions en faisant de la musique spontanée qui allie le traditionnel au moderne sans dénaturer ni l'un ni l'autre. Nous avons grandi avec des héritages musicaux différents et nous tentons de faire des greffes heureuses.» Amzik, «comme jadis», n'est pas un retour en arrière, mais un élan pour mieux s'inscrire dans le présent. Du viatique ancestral, ils puisent les meilleures valeurs pour s'épanouir dans l'aujourd'hui. Et de cette envie mesurée est né un album en 2016, «pour prendre la température» disent-ils. En fait, un album pour annoncer leurs propres créations. Ce n'est pas mal pensé. Pour ce premier «deuxième album», Nonor et Karim ont aussi fait appel à leur grand frère Saïd. Un compositeur empirique. On n'enseigne pas les émotions. À tin hemlagh est un titre qui témoigne du savoir dire et émouvoir du frère Saïd. Un album où Abdelwehab Abdjaoui a été superbement revisité et pour sortir de Kabylie, tout en y restant, Amzik est allé du côté de la Rampe Vallée, à Alger, en surplombant sa tombe, sourire et remercier le monumental Amar Ezzahi. Excusez du peu. L'accueil, plus que chaleureux des réseaux sociaux, est cependant trop exigu pour Amzik. Le réel prend le-dessus sur le virtuel et les sirènes scéniques sont irrésistibles. Ils ne se sont pas trompés, elles les ont bien accueillis. Les deux jumeaux biologiques et Didine enchaînent les scènes et commencent à se faire une place. Comment peut-il en être autrement ? L'un est électrique, inflammable, sans vous inviter, vous vous retrouvez dans l'œil de ses cyclones, l'autre vous tend la main pour vous associer à son immobilisme tant feint que contagieux. Une sérénité, apaisante, presque bucolique. Et Didine fédère les deux parallèles qui se plaisent à se rencontrer. Leurs premiers publics ne se sont pas trompés. Ils se sont laissés guider pour découvrir, les vers et les sons de Ighab le3aqliw ighab, Amek ara-3icegh, et redécouvrir autrement Ffegh ay ajrad tamurtiw entre autres titres. Des choix qui ne sont pas innocents. Des choix annonciateurs de créations qui maîtriseront cet art délicat de concilier le neuf et le vieux. On les sent amoureusement tiraillés entre le moderne et le rustique. Le résultat est sublime. Une convergence réussie entre deux courants dans un style harmonieux et unifié. Un style tellement harmonieux qu'il n'a pas laissé insensible l'artiste Idir avec lequel le groupe s'est déjà produit en première partie à Bordeaux. Une ville où AmZik se reproduira avec l'inégalable troubadour kabyle, Ait Menguellet en octobre. Décidément, Amzik ne fait pas dans la dentelle. Amzik, et à jamais, le beau restera aussi visible qu'audible. A. A. (*) Journaliste