Pour rétablir la confiance dans ses relations avec les responsables libyens, le gouvernement de Paolo Gentiloni n'a pas dépêché dans ce pays son chef de la diplomatie, Angelino Alfano, mais son ministre de l'Intérieur, Marco Minniti, qui avait fait un crochet à Alger avant d'atterrir dans l'ancienne colonie italienne. Celui qui fût dans le passé responsable des services de renseignements italiens en est à son troisième voyage en Libye en moins de quatre mois. Mais cette mission — qui intervient après les récentes tensions qui avaient vu le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l'est de la Libye, lancer des critiques et des avertissements au gouvernement italien — représente sans doute une nouvelle page dans les relations entre les deux pays. La crise entre Rome et Benghazi avait commencé lorsque les autorités italiennes avaient annoncé l'envoi de navires militaires dans les eaux libyennes pour «lutter contre l'immigration illégale», provoquant une colère dans le camp de Haftar qui n'a pas hésité à qualifier la décision italienne de «nouvelle invasion et de grave violation de la souveraineté libyenne». C'est donc un véritable tabou qui saute avec cette rencontre surprise entre l'homme de confiance de Gentiloni et l'homme fort de Benghazi que les Italiens avaient jusque-là, au moins officiellement, tenu hors des programmes de leurs visites institutionnelles dans l'ancienne colonie. Motivés sans doute par le sommet de Paris, où le président français, Emmanuel Macron, avait reçu avec les honneurs le maréchal Haftar, le mettant au même niveau que le président du gouvernement d'Union nationale, Fayez Al Sarraj, les Italiens ont décidé de dépasser leur méfiance apparente envers Haftar. Un autre élément aurait facilité ce passage à l'acte, selon des analystes italiens : le récent dégel dans les relations italo-égyptiennes qui sont restées très tendues depuis février 2016. Rome avait rappelé son ambassadeur du Caire après l'assassinat en Egypte d'un citoyen italien, Giulio Regeni, dans des conditions atroces. La responsabilité de ce crime a été imputée aux services de sécurité égyptiens (renseignements et police) qui seraient coupables de l'enlèvement, de la torture et de l'exécution de cet universitaire qui faisait des recherches sur le mouvement syndical local. Mais l'Italie a décidé récemment de nommer un nouveau diplomate au Caire, Giampaolo Cantini (ancien ambassadeur à Alger entre 2007-2012), qui devrait prendre ses fonctions le 14 septembre. Ce sont donc les hommes du président Al Sissi qui auraient favorisé, selon cette interprétation, la rencontre entre Minniti et Haftar. L'information a été donnée non pas par les canaux officiels italiens, mais par le service de presse de Haftar, qui l'a publiée sur les réseaux sociaux avec une photo montrant les deux hommes se serrant la main. Les analystes italiens, à tort ou à raison, ne lient pas cette rencontre inédite à la visite, la veille, de Minniti à Alger, durant laquelle il avait été reçu par le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, et le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Ce séjour algérois n'avait pas d'objectif officiel immédiat, vu qu'aucun accord ou actualité urgente ne l'avait dicté. Mais la diplomatie algérienne a toujours œuvré dans la discrétion, et ce n'est pas l'expert en questions de défense et de renseignements, Minniti, qui révélera qui, du Caire ou d'Alger, a «sponsorisé» sa rencontre avec le maréchal de Benghazi.