Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui a dressé un tableau sombre de la situation financière du pays dans son plan d'action, a évoqué deux scénarios catastrophes (incapacité à assurer la dépense publique et recours massif à l'endettement extérieur), si de «nouvelles solutions» ne sont pas engagées ? Partagez-vous le diagnostic du Premier ministre ? Les positions financières internes et externes de l'Etat sont très fortement dégradées. La capacité de résilience économique et financière du pays est très faible, surtout après l'épuisement du Fonds de régulation des recettes (le solde du FRR a été épuisé le mois de février 2017). Les banques publiques sont en besoin de refinancement et enregistrent un taux important de créances non performantes. Même le recours à la rationalisation budgétaire dans le cadre de la gestion budgétaire pluriannuelle peut ralentir sensiblement la croissance et augmenter le taux de chômage. Le système bancaire et financier ne présente pas de solutions alternatives de financement conventionnel (endettement et marché financier). Il faut dire que la situation est déjà complexe. Le gouvernement est contraint à des choix douloureux et je pense qu'il envisage un autre plan d'ajustement structurel qui va engendrer un lourd tribut social. Alors que les caisses de l'Etat se vident, pensez-vous que le recours au financement interne non conventionnel constituerait une solution idoine pour faire face à la crise économique et financière qui perdure ? Le recours au financement non conventionnel est généralement adopté dans le contexte où l'économie manifeste un ralentissement de la croissance, un besoin de crédits à l'économie et une déflation. Il s'agit en effet d'une politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale qui est mise en œuvre après avoir tenté des mesures monétaires conventionnelles comme la baisse des taux directeurs et des taux d'intérêt des banques commerciales. Elle peut servir également pour redonner confiance aux investisseurs et aux bailleurs de fonds lorsque le risque inflationniste est maîtrisable, voire compensable. Faut-il rappeler que la Banque d'Algérie a déjà tenté des mesures de refinancement des banques commerciales pour répondre à leurs besoins de liquidités. Il a même réduit, récemment, le taux des réserves obligatoires des banques de 8% à 4%. Je pense que le financement non conventionnel peut être un instrument efficace de la relance mais dans une économie diversifiée disposant d'un système monétaire et financier fiable. Or, en Algérie, le financement non conventionnel intervient comme alternative à la baisse du niveau de la monétisation de la fiscalité pétrolière, suite à la baisse de moitié des exportations des hydrocarbures. Autrement dit, c'est pour faire tourner l'économie rentière qui est tirée par la dépense publique de l'Etat en permettant au Trésor public d'emprunter directement de la Banque d'Algérie pour combler des déficits budgétaires et alimenter le Fonds national d'investissement. Le FNI n'est-il pas censé financer l'économie nationale et générer des recettes supplémentaires pour le Trésor public? Quels sont les risques liés au financement non conventionnel de l'économie ? Le recours au financement non conventionnel par la Banque d'Algérie peut produire une inflation à deux chiffres car l'économie nationale est très peu diversifiée et enregistre des obstacles structurels qui freinent la relance rapide de l'investissement productif. Une telle situation va aggraver l'érosion du pouvoir d'achats des ménages, surtout des couches défavorisées. Il y a aussi un risque que l'argent qui sera injecté par le Trésor va être capté par des agents qui ne créent pas de vrai effet d'entraînement pour l'économie réelle. Les spéculateurs et les pseudo-investisseurs vont encore une fois capter cet argent sans le transformer en richesse réelle et en création d'emplois. Ajoutons à cela un système bancaire et financier très peu concurrentiel et fortement administré par les décisions bureaucratiques et qui sera dans l'incapacité de gérer des situations monétaires et financières complexes qui seront produites structurellement par l'érosion de la valeur du dinar algérien. Le gouvernement sous l'effet de la panique s'est précipité au financement non conventionnel. C'est un choix de facilité. Il y a lieu d'engager des réformes profondes, structurelles et graduelles consistant surtout à formaliser l'économie nationale qui enregistre un taux d'informel avoisinant les 45% du PNB.