Le président Maduro n'a pas été reçu par Bouteflika. S'il fallait une preuve supplémentaire pour appuyer la thèse de l'incapacité, en raison de sa maladie, du chef de l'état à assumer ses responsabilités, l'entorse protocolaire faite au programme de l'hôte vénézuélien tombe comme un argument de poids pour conforter les partisans de l'application de l'article 102 de la Constitution dans leur conviction. C'est en effet trop flagrant de prendre acte de cette nouvelle désertion de notre Président dans un tête-à-tête officiel aussi important, pour ne pas céder à la tentation de croire qu'elle relèverait directement de son problème de santé. Sinon on aurait pris le risque de faire offense à un visiteur de haut rang, qui représente un pays ami et qui, de surcroît, est venu pour discuter de la problématique mondiale de la chute du prix du pétrole qui affecte tellement nos deux économies. Maduro est retourné dans son pays avec ce sentiment d'avoir raté une précieuse opportunité pour exposer au plus haut niveau son projet en Algérie sur la nécessité pour les pays exportateurs de faire front commun en vue de relever les tarifs des hydrocarbures, mais laissant surtout derrière lui, sans le savoir, une impression de gâchis diplomatique, qui est venu altérer encore un peu plus l'image de notre pays. La visite du président vénézuélien a donc été très révélatrice de la profondeur du mensonge d'Etat que l'entourage de Bouteflika entretient sur le mythe du personnage à pouvoir diriger sans prononcer une seule parole en direction de son peuple, et sans intervention publique là où sa fonction suprême le commande. On imagine l'embarras dans lequel devrait se retrouver le giron auquel échoit la lourde mission de vouloir convaincre, par la supercherie permanente, du contraire de ce que la réalité nous montre tous les jours, sans se poser la question de savoir combien de temps encore vont durer ces manipulations grossières de l'opinion sur un sujet dont la flagrance ne fait plus aucun doute. Aussi bien dans l'esprit des Algériens que dans celui de tous les pays qui suivent avec une curiosité certaine l'évolution d'un mode de gouvernance atypique qui ne fonctionne que par des relais et…un jeu d'ombre. Une gouvernance assurément qui paraît inédite pour les démocraties qui se respectent, où le seul fait de faire apparaître physiquement à la télévision le Président lors d'un Conseil des ministres suffit pour affirmer solennellement (plutôt jurer) son aptitude à pouvoir tenir ses engagements. L'Aveu vaut tous les bulletins de santé officiels que l'on ne verra jamais. L'important est de nous faire comprendre, par Premier ministre interposé, ou autre chef de parti dominant qui ne voit pourtant jamais le Président, que contrairement à Ce qui se colporte au niveau de l'opposition et, bien sûr, des esprits malveillants qui veulent noircir le tableau, le chef de l'Etat est parfaitement, physiquement, intellectuellement et moralement s'entend, en mesure de tenir son rôle en toutes circonstances. Tout donc sur ce qui se dit sur la gravité de son état de santé n'est que pure spéculation, surenchère pernicieuse et velléité politique, tendant à le renverser. Ainsi, si Bouteflika ne prononce plus de discours, c'est qu'il n'en a plus envie. Il a tellement harangué les foules par le passé, durant notamment ses deux premiers mandats, qu'il a fini naturellement par se lasser, préférant confier ses textes à ses conseillers. Il ne fait plus de campagne politique pour sa réélection, il est sûr d'être plébiscité. Il ne visite plus de pays étrangers, son carnet de voyages est tellement rempli. Il ne reçoit plus les dirigeants étrangers et les éminentes personnalités qui nous rendent visite, il est peut-être un peu… fatigué. La caricature pour une fois ne fait pas bon ménage avec la dérision. Car derrière les sarcasmes que les dirigeants eux-mêmes nous livrent pour prolonger une illusion à laquelle ils ne croient pas, se profile une réalité implacable qui doit rester en dehors des enjeux fous du pouvoir. Notre Président est malade, et même si les services médicaux de la Présidence ne communiquent pas de bulletins de santé réguliers pour tenir au courant les Algériens sur les capacités réelles de leur premier magistrat à diriger le pays, ces derniers savent, comme l'a affirmé le leader de TAJ, que «la santé du Président n'est plus ce qu'elle était». Tout le monde sait que Bouteflika, depuis son AVC, est médicalement mis en retrait, car son état physique et intellectuel ne peut plus répondre aux besoins des lourdes charges induites par sa fonction. Le fait que de nombreux ambassadeurs attendent des mois et des mois pour obtenir leur accréditation officielle montre qu'il y a un sérieux blocage administratif lié directement à la maladie du chef de l'Etat. Et puis, là aussi, c'est un secret de Polichinelle, il n'y a que son frère conseiller, Saïd, qui assure la liaison entre le Président, les institutions et le reste de la société. C'est en quelque sorte l'interface auquel doivent s'astreindre tous les rouages de l'Etat à défaut d'avoir un autre canal de communication. C'est par ce seul biais, nous dit-on, que transitent toutes les directives, toutes les décisions. Saïd, le seul collaborateur direct en qui le Président a confiance se retrouve donc, malgré lui, au centre du pouvoir, détenteur de prérogatives immenses sans avoir de légitimité. Il est conseiller, mais répercute la volonté du Président. C'est une posture particulière, mais en même temps redoutable, car personne ne sait si le principal relais du chef de l'Etat, qui porte sa voix, transmet fidèlement le message, ou lui imprime au passage un peu de sa personnalité. C'est cette situation de gouvernance à distance, par intermédiaire, qui finalement pose problème aujourd'hui. Elle ouvre en tout cas une grosse brèche à l'opposition pour crier à l'imposture institutionnelle et faire accréditer l'idée d'une vacance du pouvoir…que le pouvoir, à travers toutes ses instances dirigeantes refuse d'admettre, au risque de se remettre lui-même en cause. Reste l'avis du seul organisme dont la responsabilité est de nous dire la vérité, le Conseil constitutionnel. Pour l'heure, il préfère faire comme l'Autruche, et c'est de là sûrement que découlent toutes nos désespérances.