Acôté d'une rentrée sociale et scolaire pour le moins complexe, la rentrée culturelle fait assez bonne figure avec quelques belles surprises et des manifestations qui se distinguent par leur pérennité en dépit des vents contraires. Par leurs efforts et leur créativité, nos artistes se distinguent également et font parler d'eux au-delà des frontières nationales. C'est le cas de nombre d'écrivains algériens dont les œuvres s'exportent avec succès à l'étranger. On ne peut s'empêcher d'évoquer à ce sujet le succès du nouveau roman de Kamel Daoud. Il y a deux ans déjà, son Meursault contre- enquête décrochait le Goncourt du premier roman en France et remportait un certain succès aux Etats-Unis, où le roman est désormais au programme de plusieurs universités aux côtés de L'Etranger de Camus dont il poursuit la trame. Cette année, Daoud revient avec Zabor ou les psaumes. Paru chez Barzakh en Algérie, Cérès en Tunisie et Actes Sud en France, le roman est une allégorie sur la nécessité de la fiction. Outre les polémiques stériles qui accompagnent ses sorties médiatiques, et qui ne manquent d'ailleurs pas de booster sa promotion, il faut reconnaître à l'auteur une continuité dans sa production romanesque et un succès public qu'a confirmé l'engouement pour sa tournée promotionnelle dans quelques villes d'Algérie. Notons que les deux romans de Daoud ont d'abord été publiés en Algérie, ce qui fait bouger quelque peu les centres de la reconnaissance littéraire, parisien pour les auteurs francophones et beyrouthin pour les auteurs arabophones. Il reste tout de même que la machine éditoriale et le dispositif des prix sont autrement plus efficaces ailleurs que ce qui existe en Algérie à l'heure actuelle. En parlant de prix, deux écrivains algériens s'invitent cette année dans la liste de deux prestigieuses distinctions littéraires françaises. Il s'agit de Kaouther Adimi et de Salim Bachi. La jeune romancière algérienne revient sur le parcours de l'éditeur indépendant Edmond Charlot (qui croise celui de Camus, Amrouche, Roblès…) et de sa librairie «Les vraies richesses» située au cœur d'Alger. Dans Nos richesses, cet espace culturel mythique (qui, dans la réalité, continue à assumer la mission de bibliothèque de prêt) risque d'être transformé en boutique de beignets… Avec ce roman, Adimi est dans la liste du Goncourt et du Renaudot.
Salim Bachi est également dans la liste de ce dernier avec son essai Dieu, Allah, moi et les autres (Gallimard) où il quitte les rivages de la fiction pour se raconter dans un texte autobiographique qui revient sur sa formation d'écrivain, sa maladie, son départ vers la France mais aussi la montée de l'islamisme, avec son lot d'horreurs et d'obscurantisme, qui l'amène à s'éloigner de la religion. La liste des lauréats pour le Renaudot et le Goncourt sera dévoilée en novembre. Avant d'évoquer les rendez-vous de la rentrée, disons d'abord que l'été n'a pas été tout à fait désertique culturellement. Le Festival d'Oran du film arabe a, par exemple, permis de mettre en avant, entre cinéastes confirmés et jeunes réalisateurs au talent avéré, quelques productions cinématographiques algériennes malheureusement invisibles dans les rares salles obscures en activité. On y a vu En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui, également sélectionné à Cannes, mais aussi Je t'ai promis de Mohamed Yargui, Enquête au Paradis de Merzak Allouache et le documentaire Youcef Chahine, le cinéma et l'Algérie de Salim Aggar. Par ailleurs, la caravane littéraire initiée par le Haut-Commissariat à l'Amazighité en hommage à Mouloud Mammeri a sillonné le pays avec des conférences sur différents aspects de la vie et de l'œuvre de ce grand écrivain et intellectuel, disparu en 1989, dont nous célébrons le centenaire de la naissance. A Oran, le Festival de la chanson et de la musique oranaises rendait hommage à Blaoui El Houari, génial modernisateur de ce genre musical qui nous a malheureusement quitté cet été. A Sétif, la 13e édition du Festival arabe de Djemila s'est déroulée, en dépit des avertissements des archéologues quant à la détérioration du site, au sein de l'antique théâtre de Cuicul. Les habituelles stars de la chanson arabe, Wael Djessar et autres Nadjwa Karam étaient là aux côtés des Cheb Anouar, Bilel, Abdou Deriassa… Ce festival comme celui de Timgad méritent aujourd'hui d'être reconsidérés dans leur conception et leur organisation. La routine semble avoir érodé les attraits de leurs débuts. Pendant ce temps, sur les hauteurs du Djurdjura, une flopée d'artistes de diverses disciplines investissait le village d'Aït Ouabane à la faveur du rafraîchissant festival Racont'Art. Cet événement indépendant fait le pari d'organiser une rencontre artistique internationale dans des villages éloignés des centres urbains. C'est dans les maisons, sur les murs et dans la rue que les artistes s'y expriment pour le grand bonheur des habitants et du public venu en nombre d'autres régions d'Algérie ou même de l'étranger. Du côté de Béjaïa, la mobilisation citoyenne a permis de venir à bout des blocages et interdictions à l'encontre du café littéraire d'Aokas. Cette initiative culturelle associative pourra continuer à animer la vie de cette petite ville côtière. C'est toujours à Béjaïa et avec une initiative associative exemplaire que débute cette rentrée rythmée par les activités de la 15e édition (déjà !) des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (Lire page 16). Animée par la dynamique équipe de l'association Project'heurts, c'est tout simplement la plus ancienne manifestation cinématographique algérienne encore en activité. Cette année, le festival s'est déroulé avec la présence remarquée de Karim Moussaoui, avec la projection de son long métrage en ouverture. Le public a également été marqué par le documentaire Atlal de Djamel Kerkar, autre nom à retenir parmi la génération montante de réalisateurs algériens. Entre courts métrages, longs métrages et documentaires, les RCB ont présenté plus d'une trentaine de films d'Algérie et du monde avec à chaque fois de riches échanges avec le public. Résolument axé sur la promotion et l'accompagnement des nouveaux talents, les RCB comprennent également un volet professionnel avec le Béjaïa film laboratoire, forum international de coproduction destiné aux jeunes réalisateurs maghrébins et enrichi d'un atelier animé par des professionnels de renom. En dépit de modestes subventions publiques, et grâce aux efforts des organisateurs les Rencontres cinématographiques de Béjaïa confirment leur place incontournable dans le paysage culturel algérien. Avec plus de 400 projections depuis sa création en 2003 et plus de 600 invités d'Algérie et de l'étranger (et une notable présence maghrébine et africaine), les RCB sont l'exemple vivant d'une autre façon d'organiser des événements culturels avec plus d'impact et moins de gaspillage. Le prochain rendez-vous des cinéphiles devrait se dérouler en décembre avec le Festival international du cinéma d'Alger. Malgré la diète budgétaire, le festival piloté par Zehira Yahi, avec un prestigieux directeur artistique en la personne d'Ahmed Bedjaoui, se maintient en diversifiant ses sources de financement pour consacrer les films engagés. Cette année, le ministère de la Culture s'est engagé à lui apporter un soutien. Côté BD, le Festival international de la bande dessinée d'Alger sera de retour du 3 au 7 octobre prochain au palais de la Culture Moufdi Zakaria. Le coût des chapiteaux sur l'esplanade de Riad El Feth n'a pas résisté aux coupes budgétaires. Les concours destinés aux professionnels et aux jeunes talents sont en phase de sélection en prévision de cette 10e édition. Le sympathique concours de Cosplay (déguisements en rapport avec l'univers des mangas) viendra également égayer ce rendez-vous de la BD dans ses différents genres, allant de la BD franco-belge aux mangas en passant par les comics et la science-fiction. Le FIBDA pourra compter sur le financement public tout en poursuivant son expérimentation de l'accès payant introduit lors de la dernière édition. Cette année, et après l'Italie, c'est la France qui sera à l'honneur. Le pays du mythique festival d'Angoulême exposera son savoir-faire et sa créativité en matière de neuvième art aux côtés de nombreux invités internationaux, à l'image de l'Egypte, du Liban, de la Tunisie, du Maroc, de la Belgique, des Etats-Unis, du Canada et de Cuba. Le 26 octobre débutera l'événement culturel le plus important de l'année, à savoir le Salon du livre d'Alger. Le SILA, c'est autour d'un million et demi de visiteurs à chaque édition. Plus de 900 éditeurs ont d'ores et déjà confirmé leur participation à cette 22e édition. La barre des mille exposants pourrait être dépassée. Cette édition promet de mettre le cap sur l'Afrique. Cap de bonne Espérance, puisque l'Afrique du Sud sera l'invitée d'honneur. Le pays aux deux Prix Nobel de littérature (Nadine Gordimer et J. M. Coetzee) devrait être bien présent à la Foire des expositions des Pins maritimes. Le SILA, c'est aussi l'occasion de découvrir la plus grande partie des nouveautés des éditeurs algériens. Ces derniers profitent de l'engouement du public et des médias pour dévoiler toutes leurs sorties. L'on peut ainsi dire que l'événement fait office de rentrée littéraire en Algérie. La musique devrait avoir sa place également dans le programme culturel de cette rentrée. L'Opéra d'Alger, inauguré en octobre 2016, célèbrera sa première année d'activité. Ce luxueux écrin de musique offert par la République populaire de Chine a accueilli quelques beaux moments musicaux dans un programme plutôt inégal. Espérons que cette institution, qui regroupe également l'Orchestre symphonique national, le Ballet national et l'Ensemble national de musique andalouse, puisse atteindre sa vitesse de croisière en cette deuxième année d'existence. On attend également le programme de l'incontournable Festival international de Jazz qui se déroule chaque année à Constantine. Le Dimajazz, c'est aussi l'histoire d'une initiative associative qui s'affirme dans la durée. Institutionnalisé depuis 2009, ce rendez-vous international continue sur sa lancée avec une équipe de mordus du genre qui propose chaque année des concerts animés par des artistes de premier plan. Peu d'infos ont encore filtré sur la quinzième édition qui devrait se dérouler durant les prochains mois. Les mélomanes amateurs de musique classique devraient également se délecter durant les prochains mois avec le Festival international de musique symphonique, ainsi que le Festival international de musiques anciennes et de musique andalouse. Il est certain que les coupes budgétaires qui ont considérablement limité le financement culturel public ont pesé de tout leur poids sur les projets et même les manifestations périodiques déjà installées. Mais on peut constater que la vie culturelle résiste et l'on assiste de plus en plus à l'émergence d'initiatives indépendantes, y compris la création de nouveaux espaces, qui souffrent cependant de l'absence d'industries culturelles établies et du manque de traditions de mécénat et de sponsoring en la matière. La saison culturelle 2017-2018 qui s'ouvre nous dira comment les choses peuvent évoluer à moyen terme.