C'est sur un terrain économique miné par le déclin de la rente d'hydrocarbures, la désindustrialisation, le recours excessif aux importations et un boum démographique sans précédant qu'Ahmed Ouyahia et son équipe gouvernementale sont tout particulièrement attendus, tant la situation économique du pays est, à bien des égards, préoccupante. Mais que peut-on espérer de ce nouveau gouvernement précipitamment constitué pour ne durer dans le meilleur des cas que jusqu'au prochain scrutin d'avril 2019, soit à peine une quinzaine de mois. Evidemment pas grand-chose, d'autant plus que ce gouvernement va opérer dans une ambiance délétère ponctuée de rumeurs alarmistes sur la santé du chef de l'Etat et les légitimes inquiétudes des Algériens dont le pouvoir d'achat a déjà commencé à s'éroder. La contestation sociale promet également d'être très forte tant les promesses de Abdelaziz Bouteflika et de son Premier ministre Abdelmalek Sellal lors de la campagne pour le quatrième mandat ont été nombreuses, mais impossibles à tenir en cette période de restriction budgétaire. Toutes les parties ayant soutenu le candidat pour un quatrième mandat, hommes d'affaires y compris, avaient commencé à avoir leurs parts du gâteau et tout le problème du prochain gouvernement consistera à trouver les moyens financiers nécessaires pour continuer à les servir, au risque de perdre leurs soutiens. Il ne lui sera évidemment pas facile de tenir les engagements du Président élu envers ses électeurs, notamment les hommes d'affaires qui avaient financé sa campagne électorale, tant le déclin de la rente pétrolière a considérablement réduit la manne financière sur laquelle reposait l'extrême «générosité» du chef de l'Etat. Faute de stratégie anti-crise consensuelle sur laquelle baser l'action gouvernementale, le gouvernement d'Ahmed Ouyahia n'aura pour moyens de gouvernance économique et sociale que les lois de finances annuelles et complémentaires qui ne pourront malheureusement pas lui offrir les moyens requis pour la mise œuvre des réformes systémiques qui s'imposent en période de forte crise de liquidités. Le Premier ministre n'aura, à l'évidence, pas les coudées franches pour trancher les vraies questions qui minent depuis plusieurs décennies le développement économique et social du pays, ni même la possibilité de travailler dans la sérénité durant cette période propice aux intrigues politiciennes qui ne manqueront certainement pas en cette période d'incertitude sur la pérennité du mandat présidentiel et les modalités de succession qu'on évoque déjà largement dans les médias. De surcroît, il ne faudrait jamais perdre de vue que bien que fortement handicapé par des problèmes de santé, la nouvelle Constitution concentre pratiquement tous les pouvoirs aux mains du président Bouteflika et que, par conséquent, le Premier ministre et son équipe seront, tout comme ceux qui les avaient précédés, de simples exécutants d'actions gouvernementales généralement conçues par le président de la République (son entourage immédiat diront certains), tout particulièrement quand il s'agit d'actions à fort impact sur la gouvernance du pays. Une gouvernance économique des plus archaïques Il restera évidemment aux technocrates du nouveau gouvernement une large possibilité de manœuvre sur le terrain de l'économie où il y a en effet beaucoup à faire, tant le mal qui ronge l'appareil national de production est profond dans un contexte de forte restrictions budgétaires qui ne permet plus de dépenser sans compter pour satisfaire une demande sociale en constante augmentation. Dans un pays où la construction d'une économie de marché s'éternise et où les recettes d'hydrocarbures continuent à financer l'essentiel des besoins économiques et sociaux de la population, on ne peut effectivement pas se permettre de perdre encore du temps, notamment lorsqu'on sait que nos réserves de change constituées à la faveur des prix forts des hydrocarbures ne dureront, au train où vont les choses, qu'au maximum deux années. Le chemin à parcourir pour arrimer l'économie algérienne à l'économie mondiale sera évidemment long et fastidieux, tant les réformes ont accusé du retard. Il faudra pratiquement tout faire et, dans bien des cas, refaire des réformes aujourd'hui dépassées. Il faut en effet se rendre à l'évidence que depuis l'année d'adoption de l'économie de marché par la Constitution de 1989, les autorités politiques algériennes qui sont succédé à la tête du pays n'ont mis aucun des outils de l'économie moderne en place. A ce jour, l'Algérie ne dispose toujours pas d'un authentique marché de change, ni d'un marché boursier, ni d'un marché immobilier, ni même de moyens de paiement modernes susceptibles de lui permettre d'enclencher, sur de bonnes bases, la dynamique de développement industriel souhaitée. Dans l'état actuel de son organisation, l'économie algérienne ne peut compter, comme au temps du socialisme, que sur le budget de l'Etat malheureusement exsangue et sans perspectives en raison d'un amenuisement catastrophique des recettes d'hydrocarbures et d'une croissance économique qui promet d'être molle durant au minimum les quatre prochaines années. Le recours annoncé à la planche à billets n'a aucune chance d'arranger les choses. Elle pourra au mieux assurer les salaires d'une pléthore de fonctionnaires et les transferts sociaux habituels qui permettent de maintenir la paix sociale. A la traîne, du point de vue de la gouvernance économique, une des plus archaïques au monde, l'Algérie a pourtant plus que jamais besoin d'un gouvernement réformateur fort, en mesure de gérer notre économie autrement qu'au moyen de décisions autoritaires souvent intempestives, rendues possibles par la rente pétrolière. L'Algérie a effectivement besoin d'un gouvernement judicieusement organisé qui aille plus vite et plus résolument dans les réformes systémiques de nature à préparer l'outil national de production à l'innovation et la compétitivité. On se demande pourquoi on ne pense toujours pas, en dépit des recommandations des experts, à créer un grand ministère de l'Economie que l'on confierait à de grands économistes comme Abdelatif Benchenhou, Mourad Benachenhou ou Ahmed Benbitour qui avaient, on s'en souvient, fait preuve d'ingéniosité et de compétence lorsqu'ils furent à la tête du département de l'Economie et des Finances. L'opinion publique algérienne ne comprend en effet pas que des économistes de cette trempe soient mis au placard au moment où l'Algérie a plus que jamais besoin d'eux.