Au regard de la paupérisation de la population, un phénomène récurrent se passe au vu et au su de tout le monde : le travail des enfants. Cette hideuse exploitation de l'innocence, si elle ne se manifestait que dans la nécessité, devient un “commerce” des plus rentables, et ce, à tous les niveaux des rouages de l'économie, qu'elle soit légale ou informelle. Donner des chiffres pour numériser le nombre d'enfants exploités serait utopique tant le phénomène reste tabou dans une société qui s'est accommodée de ses tares, invoquant très souvent la pauvreté pour se donner bonne conscience. Faire un tour à travers les rues de Constantine ne peut que confirmer ce constat, hélas. Cela commence aux abords des marchés où des enfants ne dépassant généralement pas les douze ans traînent tout au long de la journée, donnant l'impression d'essayer de se débrouiller quelques “sous”, alors que la vérité est tout autre. Pour Nadir, par exemple, la “journée de travail” débute dès l'ouverture du marché Boumezzou de Constantine. Il s'installe à l'entrée et commence à vanter les mérites de la khatfa (dioul pour les habitants du centre) qu'il propose aux habitués des lieux. Pendant le Ramadhan, il en vendra plus de trois cents douzaines, (à 25 dinars la douzaine), ce qui représente quand même un sacré pactole au quotidien. “Ce n'est pas pour moi, ya ammi, nous dira-t-il, les yeux pleins de tristesse. Il y a quelqu'un qui vient très tôt le matin et nous distribue à chacun un quota (Nadir nous parlera de huit autres gosses, ndlr). A la fin de la journée, il récupère la recette et nous donne à chacun 200 dinars.” Le même constat peut être fait quant aux vendeurs de fruits et légumes, de chaussettes à la criée, ou de mouchoirs jetables. Il y a même des commerçants indélicats, criminels pour être précis, qui écoulent des produits alimentaires périmés aux alentours des marchés par le biais de gosses inconscients du danger qu'ils proposent à leurs clients. C'est ainsi que des dizaines de kilos de margarines, de boîtes de concentré de tomate, de biscuits et de tablettes de chocolat sont écoulés chaque jour, multipliant les risques d'intoxication alimentaire. La DCP avec ses contrôles et les agents de l'ordre ont eu beau chasser les enfants des abords des marchés Boumezzou, des frères Bettou ou de Souk El Asser, rien n'y fit. Ils reviennent toujours. Récemment, un des gosses a “osé” dénoncer son pourvoyeur, un commerçant de gros en produits alimentaires, après qu'il eu été arrêté. L'enquête qui sera déclenchée n'aboutira pas, car, comme nous le dira un fonctionnaire à la DCP, “il faut prendre les commerçants en flagrant délit de vente de produits impropres à la consommation. Dans le cas qui nous intéresse, c'est la parole d'un enfant des rues contre celle d'un honorable négociant”. Ateliers clandestins Il y a quelque temps, des enfants vagabonds ont été récupérés et envoyés à Diar Errahma, sur les hauteurs de la ville. Ils appartenaient, selon les informations en notre possession, à un réseau de faux mendiants, qui en plus d'utiliser leurs propres enfants pour jouer sur la corde sensible des citoyens, en “recrutent” d'autres pour quadriller leur territoire. Les enfants en guenilles et même des bébés et des nourrissons font aujourd'hui partie du décor de la “corporation” des mendiants. Des enfants travaillant au noir, mais en plein jour, vous en trouverez encore dans les ateliers de confection clandestins qui pullulent dans les quartiers interdits à la “houkouma”, comme El Manchar, Benchergui ou Bentellis. Plusieurs garages insalubres se sont donc transformés en ateliers de confection de vêtements pour… enfants, et pour femmes essentiellement. Des Syriens se sont même mis de la partie en “créant” sur place des habits, clones parfaits de modèles de la Syrie. Et pour que l'illusion soit parfaite, il ne restera plus à la fin du cycle de confection que de coudre une étiquette qui “témoignera” de l'origine “damassienne” des produits. Les enfants seront chargés du transport de la matière première et du produit fini vers les magasins de vêtements. Enfin, et le tour d'horizon n'est pas exhaustif, on retrouve encore des enfants au sein des ateliers de mécanique automobile, des cafés et des… boulangeries et pâtisseries. “C'est une faveur que j'accorde à ces gosses en les employant dans mon atelier. Ils n'ont aucune qualification professionnelle, et moi je leur accorde le privilège d'apprendre un métier qui leur ouvrira les portes de l'emploi dans quelques années”, nous révélera du haut de sa grandeur un mécanicien de la cité El Bir. Mais ce qu'il omettra de nous dire, c'est que ses “employés” ne sont pas payés du tout ! C'est, paraît-il, le prix de leur stage, quoique des fois il leur octroie quelques dizaines de dinars “pour la douche”. Ce qu'il omettra de dire aussi, c'est que pour ces gosses, dont le plus âgé ne dépasse pas les 18 ans, la journée de travail commence à 7 heures pour ne s'achever que quand le “patron” le voudra bien. Un “stage” qui a des allures d'exploitation d'enfants, pour ne pas dire d'esclavage, et ce, et au risque de nous répéter, avec la complicité honteuse et tacite du monde des adultes, peut-être même ou sûrement, de leurs parents !