Une partie du mécontentement des jeunes et des classes moyennes, se sentant exclus, a été absorbée par une mouvance islamiste qui a progressivement gagné du terrain. Les années 80' ont été émaillées d'événements précurseurs, annonçant une tempête islamiste dans les années à venir. En 1982, une manifestation d'islamistes avait été organisée près des facultés à Alger, après le meurtre d'un dirigeant, étudiant non islamiste. En novembre 1982, la seconde grande grève des étudiants arabophones entraîne de violents affrontements dans l'enceinte de l'université algéroise. Pour protester contre la répression (28 arrestations), les islamistes regroupent 5000 personnes dans la faculté centrale d'Alger pour une prière de protestation. En 1984, ils seront 20 000 à oser braver le régime en assistant aux obsèques du cheikh contestataire Abdellatif Soltani. En 1989, les islamistes organiseront des grèves dans les universités pour exiger une arabisation complète. L'opposition armée se dessinera peu à peu, opposée à toute recherche de compromis avec le FLN. Ces derniers ont pris à cœur de se différencier du parti-Etat, largement conspué par la population. Face à une classe politique éclaboussée par les scandales, le mouvement déploiera des actions sociales, peaufinant ainsi l'image d'une intégrité morale exemplaire. Des maquis apparaissent en 1983, animés par des combattants qui reviennent d'Afghanistan. En avril 1985, 135 islamistes accusés d'appartenir à une organisation clandestine, le MIA (Mouvement islamique armé), passent en procès. Il s'agit du groupe de Mustapha Bouyali, Mansouri Meliani (exécuté en 1994), Abdelkader Chebouti. Le fait est que l'Etat a voulu, dès les premières heures de l'indépendance, «nationaliser» la religion et traquer toute voie dissonante, ce qui a peut-être donné plus de crédibilité aux militants islamistes. Mais la mouvance profite aussi de la dynamique internationale. La Révolution islamique en Iran de 1979 favorise la radicalisation de certains courants islamiques ; la guerre d'Afghanistan attirera à elle de nombreux Algériens, dits les «afghans». L'historien Benjamin Stora voit dans ces islamistes les «nouveaux héritiers du nationalisme». Les militants islamistes retrouvent ainsi les intonations de l'arabo-islamisme introduites par les premières organisations algériennes dans les années trente : les oulémas d'Abdelhamid Ben Badis, pour qui «L'islam est ma religion, l'Algérie ma patrie et l'arabe ma langue». Le fis pousse la logique populiste et anti-intellectualiste du fln en la colorant de religiosité. La force de l'islamisme, analyse Stora, consiste à proposer une nouvelle rupture avec l'Etat actuel, en retrouvant les mots et le vocabulaire de l'ancienne fracture avec l'Etat colonial. «Le pouvoir, écrit l'historien Mohammed Harbi, se tourne vers l'islam comme nouveau credo qu'il voudra mettre au service de sa propre perpétuation. Il le fait après avoir tenté de réprimer – entre 1980 et 1982 – un mouvement islamiste devenu important et après s'être heurté à la naissance de noyaux armés et, surtout, au poids de l'islamisme dans l'Université. Dès lors, on essaiera d'instrumentaliser l'islam et de l'opposer aux culturalistes berbères et aux groupes laïcs exclus du pouvoir (…) à l'ennemi d'hier, l'entourage du président Chadli Bendjedid substitue un nouvel adversaire – les étatistes nationalistes ou marxistes. Et parmi les conseillers de cette orientation, on trouvera M. Ali Djeddi, l'un des premiers rôles du FIS.» Suite aux événements sanglants d'Octobre 88, le président Chadli reçoit Abassi Madani, l'enseignant ex-FLN, Ali Belhadj, l'imam charismatique de la mosquée de Kouba, et le cheikh Ahmed Sahnoun, vétéran de l'islamisme. Ils se regrouperont dans le FIS, autorisé à s'organiser en parti en 1989, et fondé par Abassi Madani, 58 ans, et Ali Belhadj, 33 ans.