La dernière audience du procès Saipem-Sonatrach, qui se déroule au tribunal de Milan, a connu un véritable coup de théâtre qui ne manquera pas d'influer sur la suite des débats. Le principal dénonciateur et témoin, Pietro Varone, a fait des déclarations qui allègent, voire infirment, ses précédentes accusations. L'été semble avoir porté conseil à l'ancien directeur des opérations de l'entreprise Saipem, ex-filiale de Eni, groupe qui en détient toujours le contrôle. L'ancien grand accusateur d'Eni et de son ancien patron Paolo Scaroni a présenté une nouvelle version des faits au procureur de la République du tribunal de Milan Isidoro Palma. Face aux questions précises du magistrat qui n'a pas manqué de rappeler à l'accusé ses déclarations enregistrées dans le cadre d'un incident probatoire, en décembre 2014, il a dû invoquer, à répétition, des «trous de mémoire» et prononcer des propos prudents et approximatifs. Trois ans sont passés depuis le long interrogatoire que les juges d'investigation de Milan, avaient obtenu de Pietro Varone, considéré alors unique gorge profonde du scandale Saipem-Sonatrach, que la justice italienne traite comme une opération de méga-corruption internationale avec la somme faramineuse de 197 millions de dollars qui auraient été versés à des intermédiaires algériens pour faire décrocher à Saipem 7 marchés pour un total de 11 milliards de dollars. L'ancien responsable italien de la filiale d'Eni (2005-2012) a depuis changé d'avocats et de vie. Il réside désormais à Dubaï et travaille au Koweit comme consultant pour des sociétés actives dans le secteur de l'énergie. L'homme qui avait été jusqu'à négocier sa peine avec la justice italienne, se présente comme «un homme éprouvé» (rappelons qu'il fût le seul à avoir été incarcéré dans cette affaire) et qui affirme ne plus «se rappeler» de beaucoup de faits, qui relativise et minimise ses précédentes accusations. Il assure même que le groupe énergétique Eni a «agi selon les normes législatives de l'époque». Selon lui, Saipem n'avait pas eu besoin de «graisser la patte» aux responsables algériens, pour relever la société canadienne First Galgary Petroleum qui avait décroché le marché juteux du gisement de gaz de Menzel, puisque l'entreprise italienne «avait déjà tous les permis nécessaires pour exploiter ce projet». Assisté par son nouvel avocat Marcello Elia, Varone a été entendu pendant plus de 3 heures par le procureur Isidoro Palma, le 27 septembre dernier. Le ton monte plusieurs fois entre les deux hommes, obligeant la présidente du tribunal Giulia Turri à intervenir. Visiblement excédée, elle aussi, par les propos de Varone qui répétait, pour disculper Eni, que les Algériens, y compris l'intermédiaire Farid Bedjaoui proche de l'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil, «confondent entre Eni et Saipem», la présidente a dû demander à l'accusé et témoin : «Vous affirmez que Farid Bedjaoui s'est présenté comme un grand expert du secteur du gaz et du pétrole et vous nous dites que cet expert était incapable de distinguer entre Eni et Saipem ?» Pas de réponse. L'ancien accusateur reconnaît tout de même avoir rencontré Farid Bedjaoui à Paris, en septembre 2005 à l'hôtel Four Seasons et puis en mars 2006. Ce dernier aurait expliqué à la délégation italienne que «Saipem avait une mauvaise réputation en Algérie et que Eni n'était pas bien vu non plus». A l'interlocuteur italien, qui lui demande s'il fallait tenter quand même de décrocher des marchés avec Sonatrach, le neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, lance : «Essayez, mais vous n'irez nulle part. Vous aurez forcément besoin du coup de main de quelqu'un. Le mien ou celui de quelqu'un d'autre.» Varone explique ensuite au ministère public que Bedjaoui a «fourni plusieurs conseils et suggestions de stratégies» aux Italiens, directives qui se seraient avérées très précieuses pour Saipem dans ses affaires avec l'Algérie. Selon Varone ces «conseils» n'ont pas été rémunérés. C'est bien après que Saipem aurait proposé à Bedjaoui de devenir son agent pour l'Algérie, avec une commission de 2,5% (là aussi Varone est vague). Le témoin raconte n'avoir jamais rencontré Farid Bedjaoui en Algérie, mais seulement en Italie et en France. Lors de l'une de ces réunions, Varone explique : «Outre Bedjaoui, Samir Ourayeid était présent en tant que représentant de Pearl Partners.» Et d'ajouter : «La société de Bedjaoui Rayan Asset Managment, agent exclusif pour tout le Moyen-Orient de l'entreprise américaine Russel Investments, ne pouvait pas s'impliquer directement avec Saipem comme ‘'agence intermédiaire'', car il y aurait eu conflit d'intérêts.» Au procureur qui lui rappelle, souvent, ses anciennes déclarations lors de l'incident probatoire de 2014, Varone va jusqu'à invoquer «un état physique et psychique» qui lui aurait fait déclarer des propos autres et accuse ses précédents avocats, avant d'être interrompu par le représentant du ministère public. Le procureur insiste sur le rôle des intermédiaires algériens et la nature de l'argent perçu. Il revient notament sur les circonstances de la rencontre des dirigeants de Saipem avec l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, à Paris. «Grâce à Bedjaoui, on a pu rencontrer le ministre Khelil, dans le hall d'un hôtel à Paris», confie Varone. «On l'a remercié et remercié Farid Bedjaoui», ajoute l'ancien responsable de Saipem, qui affirme que Khelil a eu alors ces propos : «Bedjaoui est comme un fils pour moi, et nos familles se connaissent depuis des années.» Le procureur lui demande, faisant référence au contenu d'écoutes téléphoniques qui avaient été opérées au profit de l'enquête, «Bedjaoui, C'est le ‘‘jeune'', auquel vous faisiez allusion dans vos entretiens ?» Varone improvise alors durant l'audience, un mini cours de sociologie : «En Algérie, il y a 10 familles qui comptent : celle du président de la République, celle du ministre Khelil et celle de Bedjaoui...» La prochaine audience aura lieu le 9 octobre.