Maintenant que l'ordonnance du 26 août sur la monnaie et le crédit est en phase finale d'amendement via le projet adopté hier par les députés, place aux interrogations sur les domaines d'emploi du financement non conventionnel (FNC), plus particulièrement sur son impact sur la sphère productive. Des interrogations somme toute légitimes connaissant les engagements pris par le gouvernement à ce sujet. Certes, des détails ont été rendus publics sur l'utilisation de ce mode de financement mais beaucoup de points restent à éclaircir. Théoriquement, l'enclenchement de la planche à billets servira, entre autres, à alimenter le Fonds national de l'investissement «de sorte qu'il puisse concourir au développement économique», comme indiqué dans le plan d'action du gouvernement. Il s'agit aussi «de canaliser les ressources de ce financement exclusivement vers le budget d'investissement de l'Etat, pour répondre rationnellement aux besoins du développement humain, à la réalisation des infrastructures et à l'accompagnement du développement et de la croissance», toujours selon le plan en question qui met l'exergue sur la nécessité d'assurer une diversification industrielle. Comment ? Dans le cadre d'un programme qui, à première lecture, n'a rien de nouveau par rapport aux mesures déjà proposées par les anciennes équipes gouvernementales (loin d'une politique industrielle bien ficelée). A savoir, pour reprendre les axes du plan Ouyahia, une diversification s'appuyant sur un soutien à l'investissement productif «dans les secteurs où le pays dispose déjà d'une base ou d'avantages comparatifs» : l'électronique, le numérique, les industries agro-alimentaire, l'automobile, et le ciment, l'industrie pharmaceutique, le secteur du tourisme, l'aval des hydrocarbures et l'aval des ressources minières. Maintenir une dynamique… Objectif toujours selon le discours officiel, «le maintien de la dynamique de la croissance et de la diversification des exportations». C'est globalement ce qui est assigné à la mise en route de la planche à billets. Or, ces secteurs ont déjà été inscrits comme propriétaires dans de précédents programmes sans qu'on réussisse à diversifier l'économie, tel que prôné régulièrement dans les discours. Et ce ne sont pas les orientations et les instructions qui ont manqué dans ce cadre. Alors que la période faste qu'a connue le pays n'a pas permis de relancer un secteur industriel public moribond et de mettre sur rails le privé, voilà qu'en cette période de recours à la planche à billets, on met en avant cet objectif. Mais quid de la faisabilité ? Les appréhensions sont nombreuses à ce sujet. Si pour la majorité des parlementaires acquis au pouvoir il y a lieu d'orienter le mécanisme du FNC vers l'économie productive et les activités créatrices de richesses, pour d'autres, allier FNC et diversification économique sans réformes structurelles profondes semble difficile à assurer. «Le mécanisme d'impression de la monnaie est utilisé pour relancer l'économie nationale et augmenter la production lorsque l'économie est en situation de croissance, ce qui n'est pas le cas chez nous», a remarqué à ce sujet le député de l'union Ennahda-Adala-Binaa, Lakhdar Benkhelouf, pour qui, l'économie nationale souffrait d'un déséquilibre structurel grave qui requiert des réformes profondes et rapides lors des débats sur le projet de loi modifiant l'ordonnance du 26 août 2003 sur la monnaie et le crédit. Un avis partagé par d'autres députés. Belkacem Sahli de l'Alliance nationale républicaine (ANR), a estimé, pour sa part, que des réformes économiques profondes, la rationalisation des dépenses publiques, l'amélioration du climat des affaires, la révision des aides de l'Etat et la suppression progressive de la règle 49/51 régissant les investissements étrangers en Algérie sont nécessaires pour réussir le FNC.
Tergiversations Or, sur ces points, on en est toujours au stade des tergiversations. Ainsi, après l'annonce de la révision de la loi sur les hydrocarbures par Ahmed Ouyahia lors de sa visite à Oran la semaine dernière, et la déclaration du ministre de l'Energie, Mustapha Guitouni, qui affirmait devant le conseil d'affaires algéro-américain, le «manque d'attractivité du marché algérien» en raison de la règle 49/51%, le Premier ministère a jugé utile de faire certaines précisions via son site internet : «L'annonce de la révision de la loi sur les hydrocarbures a ouvert la voie à de nombreuses spéculations. Il est donc utile de préciser que cette révision ne portera sur aucune question de souveraineté, y compris la règle 51/49% dans les partenariats avec l'étranger.» Cela pour souligner que cette règle restera toujours en vigueur, alors que bon nombre d'opérateurs économiques l'estiment contraignante. «On ne sait pas dans quel climat on va travailler. Il y a, d'un côté, la restriction des importations, et de l'autre, un climat d'affaires toujours difficile. Et pourtant, les opportunités sont importantes», nous dira un opérateur activant dans la céramique affichant son appréhension quant à l'avenir des affaires dans ce contexte de crise. D'autres se montrent sceptiques sur l'impact qu'aura la planche à billets sur l'économie productive. «Tant que les conditions ne changent pas en matière de gouvernance économique, la situation ne risque pas d'évoluer», s'accorde-t-on à dire à ce sujet, même si du côté du patronat, le soutien à la planche à billets est clairement affiché, du moins du côté du Forum des chefs d'entreprise (FCE) et des organisations patronales associées dans les réunions tripartites.
Avertissements Mais chez les experts, les avertissements ne manquent pas à ce sujet. Rappelant que la planche à billets est un mal nécessaire pour la crise budgétaire actuelle du pays face à l'incapacité d'équilibrer ses dépenses à court et moyen termes, l'économiste Mohamed Achir avertira : «La relance économique avec le financement non conventionnel est possible, mais pas dans notre contexte et dans les conditions actuelles de l'économie algérienne. C'est pourquoi une telle mesure risque de replonger le pays dans une spirale inflationniste et une perte de confiance en la monnaie nationale.» Pour sa part, Rafik Bouklia Hassan, enseignant à l'université d'Oran, tiendra d'abord à préciser que la création monétaire a toujours existé, du moins durant les dernières années. «En 2014 et 2015, le FRR a financé en grande partie le déficit budgétaire. Le FRR durant ces deux années a injecté dans le circuit monétaire plus de 2900 milliards de dinars en 2014 et plus de 2800 milliards en 2015. Ce qui représente chaque année plus de 20% de la monnaie en circulation. La seule différence est que cette émission de monnaie était adossée à des réserves de change, alors que dans le cas du financement non conventionnel, elle ne l'est plus, et ce sera cela le problème : comme elle n'a pas de contrepartie en devises, la circulation de cette monnaie additionnelle va créer des tensions sur la balance de paiement et nos réserves en devises à travers une pression sur les importations», résumera-t-il, non sans souligner que ce sont les considérations structurelles de l'économie qui auront le dernier mot. Et de rappeler que les transformations structurelles de l'économie algérienne menées entre 1974 et 2014 ont été contre-productives. Il reste donc à savoir quels seront les secteurs qui ont un impact direct sur l'économie qui vont bénéficier du FNC. Pensera-t-on à évaluer la politique de soutien aux entreprises (dépense fiscale) pour voir son efficacité et son efficience ? «Mettra-t-on des mécanismes de coordination entre, d'une part, les politiques macro-budgétaires et de change, et d'autre part, les politiques sectorielles, notamment la politique industrielle, qui, pour l'heure, ne se parlent malheureusement pas ?», s'interrogera par ailleurs notre expert, avant de répondre : «C'est à ce prix qu'on peut envisager un lien entre le financement non conventionnel et la diversification économique. M. Bouklia posera par ailleurs la problématique de la concertation entre les entreprises et les pouvoirs publics afin de déterminer de quoi a besoin l'économie nationale (en biens publics produits par l'Etat sur le compte du Trésor) pour se diversifier ? Une proposition a déjà été émise dans ce cadre par le Cercle d'action et de réflexion autour de l'entreprise (CARE) qui a remis au Premier ministère un manifeste autour d'une nouvelle culture de partenariat Etat-entreprises contenant cinq axes, entre autres la gouvernance et le développement de la compétitivité des entreprises.»
Réformes Que fera au final le gouvernement pour répondre à toutes ces exigences en matière de réformes structurelles qui se font attendre depuis plus de quinze ans ? Des réformes dont la nécessité a également été soulignée dans le rapport préliminaire de la commission des finances et du budget de l'APN, dans lequel l'accent est mis sur l'encouragement des investissements dans les domaines agricole, touristique et industriel en vue de diversifier les sources de richesse alternative aux revenus des hydrocarbures. Ce qui n'est toujours pas évident de l'avis Noureddine Bouderba, qui dira : «La rente pétrolière ne doit pas être ignorée. Elle doit travailler pour sa propre diversification. Dire qu'il faut oublier la rente, c'est de la démagogie. On assiste au même discours qu'en 2001, une période durant laquelle au nom de la diversification, on a privatisé et accordé des largesses au privé sans contrepartie en termes de création de richesses et d'emplois.» «Il y a lieu de revoir la stratégie de l'Etat dans ce domaine. Le privé ne peut pas être le pilote du développement, mais il a un rôle productif à jouer pourvu que les réformes structurelles soient menées», ajoutera-t-il. Ce que Ahmed Ouyahia a promis de faire, indiquant que le FNC sera adossé à une «feuille de route» consignée dans un décret présidentiel. Le ministre des Finances, Abderrahmane Raouya, a également pris cet engagement. C'est-à-dire que le recours aux prêts directs de la Banque centrale sera accompagné de réformes structurelles importantes portant sur le cadre institutionnel et fiscal avec la rationalisation des dépenses. Les cinq prochaines années nous le montreront.