Qu'ils soient de l'enseignement, de l'administration ou du monde du travail, qu'ils aient des idées de gauche ou de droite, les experts s'accordent, dans une unanimité rarement réunie, à critiquer ou rejeter carrément la politique économique du gouvernement. La faille dans laquelle ils se sont engouffrés, la plus béante, est le recours — officiellement pour cinq années — à la planche à billets en vue de renflouer les caisses de l'Etat désespérément vides. Ghazi Hidouci, l'initiateur historique de la Loi sur la monnaie et le crédit (LMC), prédit (Le Quotidien d'Oran du 12 septembre) des jours sombres pour l'Algérie car on a osé toucher à un texte, à l'origine cohérent, novateur et surtout garant de la stabilité monétaire du pays. Adel Abderrezak, enseignant-chercheur de l'université de Constantine, avait précisé (El Watan du 17 septembre) que cette loi a été pervertie depuis fort longtemps du fait que la Banque centrale a été «privatisée par l'Etat, lui-même privatisé par un clan porté par une bourgeoisie arriviste et prédatrice aux contours sociologiques et économiques très flous». Il ajoute que le débat sur la planche à billets ne doit pas cacher la vraie question qui est celle «d'un modèle économique enfanté par les conseillers de Sellal, avalisé dans l'indifférence générale et qui signifie ''un nouveau plan d'ajustement structurel'' qui vise à casser l'Etat social». L'ajustement structurel ? «On n'en est pas encore là», estime prudemment Hocine Benissad (El Watan du 28 septembre) qui a formé des générations d'économistes, car l'Etat a à sa disposition des avoirs extérieurs pour trois ans et l'endettement extérieur peut être «utile, voire nécessaire lorsqu'il s'agit de financer des projets d'investissement de substitution à l'importation ou générateurs d'exportation». Ce point de vue est réfuté par le professeur Boubaker Miloudi, qui estime (El Watan Week-end du 12 octobre) que ce serait «une erreur stratégique que d'attendre que les réserves de change soient épuisées en 2020 ; à ce moment-là, peu d'organismes feront des prêts à l'Algérie, si ce n'est à des taux élevés, et le seul recours sera le FMI dont on connaît les conditions drastiques». «Il est encore temps, préconise-t-il, de créer un fonds souverain de 25 milliards de dollars à prélever sur les réserves de change et à orienter vers les secteurs productifs créateurs de richesses.» Le ton change lorsqu'il s'agit de l'impact de la politique gouvernementale sur la population. Pour Noureddine Boudeba, expert des questions sociales (El Watan du 5 octobre), le gouvernement veut imposer un débat d'économistes pour occulter l'interrogation sur le trou dans les caisses de l'Etat, lequel est censé pourtant avoir engrangé 800 milliards de dollars en 17 ans : «Cette situation est le résultat de choix politiques et économiques qui ont substitué à l'économie productive une économie rentière, articulée autour des importations, lesquelles ont fait émerger des dizaines de milliers de nouveaux riches et une oligarchie qui a grandi grâce à la commande publique et aux subventions.» Il conclut en disant que pour cette oligarchie, «le moment est venu de passer à un stade supérieur qui est la prise des commandes économiques et politiques du pays, inaugurée déjà par l'intrusion de la ''chkara'' dans les institutions politiques et parlementaires.» On est donc dans la politique, et d'ailleurs il n'y a pas de politique sans économie, ni d'économie sans politique. Les deux sont dialectiquement liées. Les partis, les observateurs et les opposants prennent la relève des experts économiques pour dire que les choix opérés par les gouvernements (Sellal et Ouyahia) sont des opérations de perfusion sur un régime agonisant, privé, du fait de la chute des exportations des hydrocarbures, de la paix sociale qui le pérennisait de mandat présidentiel en mandat présidentiel. Ahmed Taleb-Ibrahimi, Ali-Yahia Abdennour et Rachid Benyellès diront dans leur déclaration que «le recours au financement non conventionnel marque le point de départ d'un processus de paupérisation qui accentuera inévitablement le mécontentement populaire et pourrait conduire à des troubles». En toile de fond, redoutent-ils, la préparation d'un cinquième mandat pour le président Bouteflika. Ils ne sont pas les seuls à livrer leurs inquiétudes.