La surprenante démission du Premier ministre libanais annoncée samedi depuis Riyad marque le franchissement d'un seuil critique dans la guerre engagée par la nouvelle équipe saoudienne contre l'Iran et le Hezbollah. Les signes avant coureurs de cette nouvelle crise politique dans laquelle s'engage le Liban n'étaient pas identifiables. Malgré la rhétorique belliqueuse des officiels saoudiens et toute la hargne déployée par le ministre d'Etat pour les Affaires du Golfe, Thamer el Sabhan, contre l'Iran et le Hezbollah libanais en octobre dernier, l'attitude raisonnablement prudente des figures du Courant du futur (parti d'Hariri) n'a rien laissé entrevoir de cette rupture. L'exultation de Sabhan après le renforcement des sanctions américaines contre le Hezbollah et son tweet enflammé le 13 octobre dernier appelant à une alliance internationale contre le «parti du diable», n'avaient pas trouvé l'écho escompté auprès des responsables du Courant du futur. Des proches du parti auraient même confiés au quotidien libanais arabophone Al Akhbar que ces déclarations ne reflétaient par leur position et qu'ils n'entendent pas se laisser entrainer dans une crise politique interne. Cette approche constructive semblait confortée par les commentaires officiels de la rencontre à Beyrouth, vendredi, entre le Premier ministre libanais, Saad el Hariri, et le Conseiller pour les Affaires Internationales du guide suprême de la République d'Iran, Ali Akbar Velayati. Tandis que le premier a insisté sur la nécessité de préserver l'équilibre et la stabilité du Liban et ce en dépit des divergences politiques, le second a salué l'«indépendance du gouvernement d'union» et félicité le peuple libanais pour «sa grande victoire contre le terrorisme» promettant la protection de l'Iran. La décision d'Hariri, au lendemain de cette réunion, d'annoncer sa démission depuis l'Arabie Saoudite au cours d'un deuxième déplacement en l'espace de quelques jours, était donc en complète dissonance avec la stratégie conciliante adoptée jusque là.
Coup d'état interne Trahissant les intérêts nationaux, Saad Hariri claque la porte du gouvernement non sans avoir accusé l'Iran d'avoir la main mise sur le Liban dans une déclaration tonitruante aux accents guerriers à la chaine saoudienne Al Arabiya. «Je veux dire à l'Iran et à ses inféodés qu'ils sont perdants dans leur ingérence dans les affaires de la nation arabe». «Notre nation se relèvera et va couper la main de celui qui lui portera préjudice», a-t-il lancé. La trame des évènements semble indiquer qu'il s'agit là d'une décision orchestrée par la nouvelle équipe au pouvoir en Arabie saoudienne qui parachève le coup d'Etat lancé depuis plusieurs mois sur la scène politique interne. C'est dans le cadre de cette «révolution de Palais» que Mohamad Ben Salman s'est hâté de lever les derniers obstacles à la concrétisation de sa stratégie de contrôle de tous les leviers du pouvoir en ordonnant l'arrestation de plusieurs hauts responsables saoudiens dont la fortune est estimée à 1100 milliards de dollars. En quête de légitimité, le clan de Mohamed Ben Salmane se présente à la fois comme le champion de la lutte anti-corruption en interne et le fer de lance de la stratégie d'affaiblissement de l'Iran ainsi que de son «bras opérationnel» le Hezbollah, pour reconquérir la stature régionale de Riyad. La démission de Hariri, proche du clan rival de Mohamad Ben Salam, accusé d'avoir été trop conciliant, serait donc un pas important dans cette direction. A la faveur des évolutions régionales, l'Iran n'a en effet cessé d'élargir sa sphère d'influence gagnant une profondeur stratégique dans le monde arabe. Les résultats tangibles enregistrés par Téhéran et ses alliés sur les différents théâtres militaires ont conduit à un durcissement de la confrontation saoudo-iranienne au point de mettre fin à la convergence régionale pour sanctuariser le Liban. Alors qu'en Syrie les succès militaires des forces alliées de Damas, et l'échec définitif de la stratégie de déstabilisation visant à couper la ligne logistique Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth, dessinent les contours d'une victoire du gouvernement syrien et de ses soutiens dont l'Iran; en Irak, Washington perd du terrain face à Téhéran. Riyad, de son coté n'a tiré aucun bénéfice politique de son soutien actif aux groupes salafo-jihadistes, empêtré dans un conflit armé au Yémen qu'elle ne peut pas gagner militairement et pour lequel elle peine à trouver une issue politique face à un Iran inflexible, principal source d'appui aux Houthis. Dans ce contexte géopolitique profondément bouleversé et face au risque d'une conflagration régionale, la guerre est redirigée vers le Hezbollah qui a contribué à l'évolution du rapport de force en Syrie et en Irak. La peur de l'inconnu Les mesures énergiques prises contre le parti à travers l'adoption des sanctions économique et la mise à l'index de sa branche militaire qualifié de « terroriste » n'ont pas suffi à affaiblir l'organisation qui jouit d'une légitimité populaire incontestable au sein de larges secteurs de la population convaincue de son absolue nécessité comme mouvement de résistance et force de dissuasion face à Israël. Riyad s'est donc employé à liquider le processus de concorde politique pour isoler davantage le Hezbollah perçu par les Saoudiens comme un pilier central de la stratégie de déstabilisation de l'Iran. Cette convergence américano-saoudo-israélienne pour agir contre le Hezbollah amène certains observateurs à considérer que tous les scénarios sont désormais ouverts avec l'entrée dans une nouvelle phase de turbulences que le Liban n'avait plus connues depuis 2008. La fin du modus vivendi pourrait se traduire aussi bien par l'accentuation des pressions internes sur le Hezbollah que par la résurgence des conflits communautaires. Dans cette configuration, le scenario d'une guerre avec Israël n'est également pas à exclure. Le renforcement redoutable des capacités militaires de l'organisation inquiète de plus en plus l'establishment israélien qui pourrait déclencher une guerre préventive. Sur ce point, le leader du Hezbollah a tenu a rappelé hier dans une allocution télévisée, que le rapport de force n'est pas en faveur d'Israël. Dédramatisant la situation, il a également appelé au dialogue interne manifestant sa confiance au Président libanais pour favoriser une solution de sortie de crise.