Vous publiez un livre sur la Guerre d'Algérie menée par le FLN sur le sol français, Mémoires et combats : 1956-1962. Pourquoi ce livre ? J'avais ce livre à cœur parce que c'est une histoire qui est en train de se perdre. On n' a jamais dit la réalité sur la Spéciale de France. Et pour les mémoires de mon mari, c'est important pour le pays, je me suis engagée suite à la parution, il y a 4 ans, d'un article dans le journal gouvernemental El Moudjahid où on parlait de la nuit rouge en 1958, et où on a cité tous les noms, sauf celui de mon mari. A ce moment-là, je me sentais contrainte d'écrire ce livre. J'étais obligée de faire quelque chose contre l'oubli. Je crois que M. Bouaziz, responsable fédéral chargé de la Spéciale, qui disposait lui aussi de beaucoup de documents, n'a pas publié de livre. C'est quand même un pan important de l'histoire de l'Algérie combattante qui se perd ainsi. Dans ce livre, vous évoquez la genèse de l'OS avec parfois force détails et racontez de l'intérieur, puisque vous-même étiez une moudjahida en Allemagne. Qu'apportez-vous de plus dans votre ouvrage, par rapport à ce que dit le livre de l'historien Daho Djerbal sur le rôle et les activités de l'OS, sur la base des documents remis par votre mari ? Oui, Daho Djerbal et mon mari ont bien travaillé ensemble, mais mon mari était très malade à l'époque. Il avait la sclérose en plaques et il s'est arrêté de travailler sur le sujet. Mais il a quand même bien écrit sur mon mari. Il a quand même réalisé quelque 80 pages avec lui. Quelle est la nouveauté justement par rapport à ce qu'a écrit Daho Djerbal ? J'ai complété le travail initial de Daho Djerbal avec les documents que m'a laissés mon mari. Et puis, il y a eu certains événements privés ainsi que les témoignages de mon époux sur les conditions dans lesquelles il a quitté la France pour se réfugier en Allemagne en passant par la Suisse. Il m'a raconté des anecdotes sur cette guerre, mais pas seulement, puisqu'il devait écrire aussi un autre livre (pas avec Djerbal) sur sa famille. Est-ce qu'il n'est pas juste de dire qu'à l'indépendance, il n'aurait pas tellement apprécié la tournure qu'ont pris les événements et qu'il a préféré revenir à ses premières amours, à savoir la médecine ? Non. Il voulait continuer ses études. Certes, auparavant, il voulait faire la guerre, mais il voulait aussi faire de la médecine militaire. Mais à l'indépendance n'est-ce pas, la Fédération de France du FLN n'était pas encore reconnue en tant que telle. Il aura fallu plusieurs années avant que ce ne soit le cas. Vous en parlez dans votre livre avec une certaine amertume... Mon mari ne voulait pas faire de la politique. Il a vu dès le début des divergences entre les militaires et les politiques. Il a alors préféré s'abstenir. Pour lui, la guerre était terminée. Dans votre ouvrage, vous développez le fait que lui, en tant que chef de l'OS, était un membre de l'ALN forcément. Sauf qu'à l'indépendance, il n'était finalement pas considéré comme tel, à l'instar de tous les autres membres de la Spéciale qui n'ont finalement pas eu ce statut au nom duquel pourtant ils ont livré bataille sur le sol français... En 1962, ils n'étaient pas reconnus. D'ailleurs, nous avons eu un problème lorsque nous sommes rentrés en Algérie, le 31 octobre 1962. Quand on a atterri à l'aéroport, on ne voulait pas nous laisser entrer en Algérie avant d'avoir vérifié l'identité de mon mari. Il était pratiquement inconnu. Pendant la guerre, on ne le connaissait pas. Justement vous dénoncez, dans votre livre, le fait que les membres de l'OS ne soient pas considérés comme membres de l'ALN. Est-ce donc toujours le cas aujourd'hui ? Oui, c'est toujours le cas aujourd'hui. On n'a pas reconnu l'OS comme faisant partie de l'ALN. Mais j'ignore pourquoi.