Corps frêle, visage émacié, regard sombre, Ahmed Amraoui se morfond sur sa chaise dans un local sobre servant de permanence électorale. « Attendez, je vais appeler le tête de liste», lance-t-il gentiment. Nous lui indiquons que c'est sa parole à lui qui nous intéresse, son profil, et il en est presque intimidé. Emu. Pourtant, le parcours d'Ahmed force vraiment le respect. C'est l'un de ces vigiles discrets qui ont brûlé leur jeunesse pour que le pays se tienne debout. Ahmed Amraoui est candidat sur la liste du MPA (n°13). Il a 49 ans, marié et père de quatre enfants. A la fin des années 1980, Ahmed était maître d'école. «J'étais enseignant de français», précise-t-il. Dans les années 1990, alors que Aïn Boucif est dans l'œil du cyclone terroriste, Ahmed s'engage dans le corps des Gardes communaux. «J'étais dans le tout premier groupe, le détachement 26-1 », assure-t-il. «A l'époque, c'étaient les zawalis qui étaient en première ligne de front. Tu ne trouvais dans nos rangs que les parias, les sans-grade, ghir elli mekerfessa alih», se souvient-il avec amertume. «J'ai servi de 1994 à 2005. J'étais dans la gueule du loup. On ratissait toute la région : Kef Lakhdar, Moqorno, El Ghaba El Kahla… Je l'ai échappé belle plus d'une fois. J'ai des amis qui sont morts.» Après onze ans de bons et courageux services, Ahmed sort les mains vides. «En 2005, j'ai rendu les armes sans aucune pension ni indemnité. Rien !» En 2009, il est engagé comme contractuel par l'APC. Depuis janvier 2017, la mairie a mis fin à son contrat en même temps que 63 de ses camarades. «Je suis toujours au chômage. Je vis de la retraite de mon père. C'est un ancien fonctionnaire des PTT», affirme-t-il. Dans la foulée, Ahmed nous confie : «Je me présente aux élections faute de travail. Moi, je cherche juste un travail à travers cette liste.» Pour lui, c'est avant tout une opportunité pour espérer avoir un revenu et assurer un minimum de vie digne à ses enfants. «Beaucoup parmi ces jeunes qui encadrent les permanences électorales et les bureaux de vote ne sont pas encartés, ils font ça juste pour se faire un peu d'argent», appuie-t-il. «Je n'ai jamais fait de politique auparavant», avoue notre ami. Quid de sa ligne politique ? «On se base sur les classes populaires. Les gens sont très pauvres, ici. Le peuple est réduit à la mendicité. Quand le couffin du Ramadhan est distribué, c'est l'émeute. Il y a une grande misère dans les douars. J'habite à El Gharbia, sur la route d'El Birine. Il n'y a rien là-bas. Le réseau de distribution de gaz passe à 200 m de chez nous et on n'a pas de gaz de ville. L'agriculture périclite faute d'eau et les forages sont interdits. Même l'élevage, ça ne marche pas. Les aliments de bétail coûtent trop cher. La ‘arouchia' nous a causé beaucoup de tort. Chaque élu n'œuvre que pour son clan. Il n'y en a que pour la ‘hachia' (la cour) du maire.» En plus du poids du tribalisme, Ahmed n'hésite pas à parler de «tabaqia» (lutte des classes). «Les notables ont tous les privilèges. Certains noms, certaines familles, ont tous les droits. Nous, on est la classe inférieure. Les marginaux. On veut se rapprocher de notre classe et l'élever avec nous. Echaâb madhrour bezzef. Si personne ne bouge, ça ne risque pas de changer .» Comment évalue-t-il ses chances ? «J'ai une bonne réputation. Des gens que je ne connais pas viennent m'embrasser spontanément sur le front. Ils se souviennent du temps où je risquais ma vie pour les défendre», glisse-t-il avec pudeur.