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Poétique de la vie
Sour El Ghozlane .Hommage à Messaour Boulanouar
Publié dans El Watan le 18 - 11 - 2017

Messaour Boulanouar (1933-2015) fut un poète de la résistance au sens large du terme. Son verbe puissant et limpide le rapproche de Paul Eluard ou de Pablo Neruda.
La résistance en paroles et en actes de Boulanouar s'est d'abord exprimée contre l'injustice coloniale ; elle se poursuivra durant toute sa vie et son œuvre (nous verrons que les deux sont indissociables) face à tout ce qui abaisse l'homme et l'avilit. A l'occasion d'un hommage organisé par des jeunes de la région le 14 novembre, nous nous sommes rendus à Sour El Ghozlane sur les traces du poète qui n'a jamais quitté cette ville où sont ses racines.
S'il est une métaphore récurrente dans l'œuvre de Messaour Boulanouar, c'est bien celle de l'arbre qui pousse avec l'entêtement et la lenteur de la vie contre toutes les forces contraires.
«J'écris pour qu'on défende/pour qu'on respecte/ l'arbre qui monte/ le blé qui pousse/ l'herbe au désert/ l'espoir des hommes», affirme le poète dès son premier recueil. Publié en 1963 aux éditions du Scorpion, La meilleure force est «la seule grande épopée de la libération», selon les mots de Jean Sénac.
Entamée en 1956, année durant laquelle le poète est emprisonné à Barberousse (actuellement Serkadji), ce long poème de 7000 vers donne à la libération un sens universel. C'est un chant d'espoir au cœur de la souffrance, une ode à la vie composée dans la proximité de la mort.
Messaour Boulanouar n'écrivait pas sur la Révolution mais en son cœur même. «A l'extrême péril, l'homme ne perd pas de vue l'unité de son incohérence. Irréductiblement, il continue son jeu humain et n'arrive point à refréner ses élans contradictoires mêlant la joie à la peur et, partant, sauvegarde son indicible humanité», écrit Abdelmadjid Kaouah, autre poète de Sour El Ghozlane. Soulignons que cette ville a vu naître ou grandir des plumes de haute volée.
On citera le poète et résistant Djamel Amrani qui fut le voisin et ami de Messaour, mais aussi Kaddour M'hamsadji, M'hamed Aoune (natif d'Aïn Bessam), la critique de cinéma Mouny Berrah, le journaliste et écrivain Arezki Metref… sans oublier le melhoun, poésie populaire qui rythmait les événements historiques ou quotidiens des habitants.
La grand-mère de Messaour, elle-même poétesse en arabe dialectal, a d'ailleurs laissé un grand impact sur le poète. En zone agro-pastorale, Sour El Ghozlane est aussi une cité antique dont la fondation remonte à plus de 2000 ans.
Entre la Kabylie et les Hauts-Plateaux, à mi-chemin entre Alger (142 km) et Bou Saâda (126 km), la ville, perchée à 800 m d'altitude, est un carrefour de cultures fondues dans de vieilles traditions citadines. Nous avons eu le plaisir de la sillonner à bord de la 4L de Omar Saadi, personnage de la ville que Messaour aimait appeler «le Gitan». Ce dernier nous a montré les vestiges de l'aqueduc romain, mais aussi les remparts qui donnent son nom à la ville, littéralement «Rempart des gazelles».
En chemin, il évoquera la riche activité culturelle qui animait la ville jusqu'aux années 1980. Largement impliqué dans la vie de sa ville, Messaour a animé des projections-débats et accueilli de nombreux artistes, tels que Kateb Yacine (avec lequel il partage bien plus que l'inversion du nom et du prénom), Jean Sénac, Tahar Djaout, M'hamed Issiakhem, Denis Martinez… Boulanouar avait également pris l'initiative de transformer l'église désaffectée en bibliothèque, nous raconte Abderrahman Sayeh, qui l'a accompagné dans ce projet lancé en 1963 et qui ne durera pas plus d'une année. Aujourd'hui, l'église Sainte Julie a été remplacée par une mosquée et l'on chercherait en vain un espace de lecture au centre-ville.
Messaour Boulanouar aspirait à une culture vécue, au plus proche des gens, témoigne le peintre Denis Martinez rencontré dans sa maison à Blida. Le peintre, lui-même engagé dans l'action culturelle, se souvient d'une exposition organisée au lycée de Sour El Ghozlane en 1981.
La même année, le peintre illustrait le recueil Sous peine de mort paru aux éditions de l'Orycte. Fondée par le critique d'art et enseignant de philosophie Michel-Georges Bernard en 1975, ces éditions établies à Sour El Ghozlane ont publié quatre recueils de Messaour Boulanouar : Raisons de dire (1976), Comme un feu de racines (1977), En premier lieu, prologue de le coup de fouet (1977) et Sous peine de mort (1981). Ces éditions aux tirages artisanaux au stencil dépassaient rarement les 200 exemplaires, mais cassaient un tant soit peu le monopole étatique.
Elles ont réussi pourtant à se constituer un impressionnant catalogue réunissant quelques-unes des plumes les plus avant-gardistes. Bachir Hadj-Ali, Habib Tengour, Tahar Djaout, Abdelhamid Laghouati, Jean Sénac ou Hamid Tibouchi y ont publié des recueils mais aussi le Breton Guillevic, dont la poésie ancrée dans l'épaisseur du réel n'est pas sans lien avec celle de Messaour. Les deux poètes ont également en commun une carrière administrative apparemment très éloignée de l'image d'Epinal du poète évoluant dans la voûte éthérée.
Fonctionnaire dans l'enregistrement et le timbre, Messaour avait, pour ainsi dire, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. Durant sa jeunesse, il fut également cafetier au Café des Amis appartenant à son père. Il fut également enseignant et assureur. Malgré des études interrompues assez tôt pour raisons de santé, le poète n'en poursuit pas moins sa formation à l'école de la vie.
C'était aussi un grand lecteur familier de la pensée de Bachelard et de celle de Nietzsche entre autres auteurs évoluant hors des systèmes et des pensées dominantes. Ce n'est pas un hasard si l'on retrouve dans la bibliothèque de Messaour Boulanouar ces philosophes qui œuvraient à «libérer la vie de ce qui l'emprisonne», selon l'expression de Gilles Deleuze.
Nous avons d'ailleurs eu le privilège de passer de longs moments à parcourir les rayons de cette bibliothèque dans la maison du poète située dans la cité Génie, pour le coup bien nommée. Ses enfants, qui ont reçu la générosité en héritage, nous ont grand ouvert leurs portes durant deux jours pour des soirées de discussion et d'évocation avec la présence bienveillante de la femme du poète. La tisseuse et le poète ont travaillé le texte (du latin «texere» : tisser) chacun à sa façon, rappelle la fille Yamina dans un texte splendide lu à l'occasion de l'hommage.
La famille poussera la générosité jusqu'à nous offrir le chandail de Messaour Boulanouar pour nous protéger du redoutable froid de Sour El Ghozlane. A l'entrée donc, le mur est recouvert de chefs-d'œuvre. On y retrouve Dib, Haddad et Amrani mais aussi Eluard, Balzac, Asturias et puis des essais, dont ceux de Mostefa Lacheraf, grand penseur de la culture algérienne natif de la ville voisine de Sidi Aïssa (50 km). «Si tous mes livres étaient là, il n'y aurait plus de place pour vous», plaisantait le poète avec ses dix enfants, son «capital». La plus grande partie de la bibliothèque a été prêtée à des amis pour une durée indéterminée…
«Je vis d'être et nom d'avoir», disait-il.
Si Messaour ne sortait qu'occasionnellement de Sour El Ghozlane, son humble demeure a accueilli la crème de la scène artistique algérienne, se souvient la famille autour d'un délicieux couscous préparé par Djamila Messaour. En fond sonore, Cheikh Imam, Paco Ibanez, Atahualpa Yupanqui, Serge Reggiani…
Plus que ses chanteurs favoris, Messaour aimait écouter sa fille Fatiha chanter Tayara safra, chant révolutionnaire algérien. Elle le chantera d'ailleurs à l'occasion de l'hommage devant une salle très émue. Présent également, Omar Saadi (le Gitan) se rappelle que l'auteur de L'Alphabet de l'espace aimait monter au sommet du djebel Dirah muni de ses jumelles pour avoir une vue imprenable sur la ville. Fatema Messaour, fille du poète, nous confirmera cet attrait des hauteurs.
Elle se souvient que son père, observant la ville du haut du massif montagneux culminant à plus de 1600 m, évoquait avec ironie les luttes intestines qui déchirent les habitants de ce petit coin de terre aperçu au loin. Descendant des Ouled Driss, une des plus anciennes tribus de la région, Messaour Boulanouar avait ses racines très profondément enfouies dans l'humus de sa terre. Il se refusait toutefois à tout régionalisme de mauvais aloi et tenait à l'identité d'Algérien arrachée de haute lutte. Il écrivait ainsi : «Mon pays est partout où la mort ne prend pas/ mon pays est immense, il agrandit le monde.»
Celui que toute la ville connaît par son surnom d'El Kheir (le bien) pouvait passer des heures à jouer aux dames avec le coiffeur et le forgeron du coin. Et il pouvait tout aussi bien rejeter poliment la visite d'un ministre de passage.
A l'instar de Faulkner ou de Mahfouz, il tirait la sève de son écriture du quotidien de sa ville, de la vérité humaine de ses semblables : «Des gens de peu, des gens de rien, des gens de terre, des centaines de gens, des gens de toutes les couleurs, des fous et des poètes, des êtres merveilleux» (Chemins).
Est-il besoin après cela de préciser que la poésie de Messaour est aussi et surtout universelle ? Son fils, Yahia, nous raconte que son père lui inculquait que la vérité d'une personne n'est pas plus dans son apparence que dans ses paroles, mais d'abord dans son regard : «Les yeux ne sont d'aucun pays.» La correspondance entre le vécu du poète et sa poésie, entre ses paroles dites et ses paroles écrites, entre l'espace de sa ville et celui de ses textes est tellement grande que l'on a l'impression en se baladant à Sour El Ghozlane de parcourir un poème de Messaour. Les arbres, la pierre, la neige, le vent, les burnous, les visages, l'oiseau agile, l'herbe et le feu, les chiens aboyant sous la lune…
Autant d'éléments puisés de la vie qui se transforment en vocabulaire poétique. Il s'agit moins de métaphores que de métamorphoses. Loin des modes littéraires, Messaour Boulanouar n'affiche pas de slogans avant-gardistes, il invente sa langue dans la langue. Tordant la syntaxe, sa parole au rythme vaste est nourrie par le souffle épique de la poésie populaire.
Ce travail sur la langue s'effectue d'un bout à l'autre d'une œuvre patiemment tissée durant toute une vie. En dépit de l'incompréhension de ses contemporains (poèmes refusés par le comité de lecture de la SNED, ex-société étatique d'édition), Messaour n'a jamais cessé d'écrire. En plus des recueils cités précédemment, ajoutons J'écris... de Sour El Ghozlane, Poèmes d'Algérie, 1972-1998 (Tiresias, 1998), «Œuvres choisies» (Union des écrivains algériens, 2003) et le triptyque Et pour sanction la vie, Sous peine de mort et L'alphabet de l'espace paru chez Dalimen en 2007. Il faut aussi dire les déceptions du poète méticuleux et exigeant face à des éditeurs qui ne l'étaient pas.
Une grande partie de son œuvre (dont ses autobiographiques Chroniques de Sour El Ghozlane) reste inédite, assurent ses enfants.
Initié à l'informatique après des années d'écriture sur une vieille machine à écrire Jappy, Messaour Boulanouar gravait ses textes et lectures sur CD et les offrait gracieusement. Il était particulièrement attentif et ouvert aux jeunes qui voulaient apprendre, nous assure Fatema Messaour. C'est ce que nous confirmera Samir, voisin de l'écrivain, qui se souvient d'une discussion sur les origines des habitants de la ville. Le lendemain Messaour lui offrait l'œuvre d'Ibn Khaldoun sur CD pour pousser plus loin ses recherches.
C'est d'ailleurs un jeune voisin de la cité Génie qui a pris l'initiative de ce premier hommage à l'écrivain décédé le 14 novembre 2015. Noureddine Allem se souvient d'un homme charismatique et ouvert qui encourageait les initiatives culturelles. Si ce premier hommage a été plutôt modeste mais empreint de sincérité et d'émotion, les organisateurs promettent une prochaine édition à la hauteur de l'homme et de son œuvre. Du reste, le meilleur hommage que l'on puisse rendre à Messaour Boulanouar c'est d'abord de le lire, d'éditer son œuvre et de méditer sa parole : «Ce monde est à changer/ un poème en chemin nous incite au bonheur.»


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