Pour beaucoup de Libanais, aujourd'hui sera un grand jour, sauf bien entendu pour le Premier ministre Fouad Siniora et la majorité parlementaire. Parce qu'en face, il y a ceux qui déclarent constituer la véritable majorité, celle qui vote et qui se déclare en droit de demander des comptes au gouvernement élu en juin 2005. Ceux-là viennent de toutes les régions et communautés libanaises, démentant certaines analyses qui ne voyaient dans ce courant de protestation que les seuls partisans d'un seul parti, le Hezbollah, et dans son prolongement, la main ou l'ombre de puissances étrangères, la Syrie et l'Iran puisqu'il faut les identifier. Depuis vendredi, se prépare le rendez-vous d'aujourd'hui que ses participants qualifient déjà d'historique. Ceux-là ont déjà pris possession du centre de Beyrouth et se préparent à la grande manifestation d'aujourd'hui. Ils sont comme musulmans chiites, chrétiens, hommes et femmes de tous âges, étudiants, sympathisants ou militants politiques aguerris, rassemblés autour des centaines de tentes alignées sur les deux grandes places au cœur de la capitale, multiples visages d'un Liban qui se dit oublié et déterminé à vaincre. « Dimanche marquera un tournant dans notre mouvement. Puis nous arrêterons de payer nos factures, nous arrêterons d'aller à l'école, au travail », promet une jeune manifestante, venue tout droit de Saïda, la grande ville du Sud. Alors que le mouvement de protestation doit s'amplifier à partir d'aujourd'hui, le journal Al Akhbar (opposition) prévoit pour demain, une « paralysie de toutes les institutions, avec une grève notamment à l'aéroport et au port de Beyrouth ». Le chef de l'opposition chrétienne, Michel Aoun, s'est allié au mouvement initié par le Hezbollah et ses partisans, sous leurs drapeaux orange, ont eux aussi dressé leur village de tentes sur la grande place des Martyrs. Dans une de ses rares réactions, le Premier ministre Fouad Siniora a accusé vendredi le Hezbollah « de planifier un coup d'Etat », une déclaration marquant un net durcissement du conflit entre le gouvernement et l'opposition, au lendemain de virulentes attaques du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Un mois après le début de la crise politique et alors que le mouvement populaire de protestation a entamé vendredi sa deuxième semaine, tous les efforts de médiation entre l'opposition, emmenée par le Hezbollah, et le gouvernement ont échoué. Dans un discours particulièrement virulent, Hassan Nasrallah a accusé jeudi soir le cabinet Siniora de recevoir ses ordres directement de Washington. « Ce gouvernement obéit aux ordres de l'ambassadeur américain au Liban. C'est un gouvernement non libanais, illégitime », a-t-il lancé dans une intervention télévisée retransmise sur un écran géant dans le centre de Beyrouth face à une foule de manifestants. M. Siniora a riposté vendredi en affirmant que Nasrallah « essayait de planifier un coup d'Etat ». « Le Liban est un pays de consensus (...) il ne fonctionne pas par les menaces », a-t-il ajouté, soulignant « seul le Parlement donne ou retire sa confiance au gouvernement. Nous vivons dans une démocratie ». Hassan Nasrallah a averti que les manifestations se poursuivraient jusqu'à la chute du gouvernement. Selon lui, l'opposition pourrait refuser que des membres de cette majorité dirigent le prochain gouvernement. « Nous formerons un cabinet de transition qui tiendra des élections anticipées » si le blocage persiste, a-t-il averti. L'opposition, qui regroupe le Hezbollah, le mouvement Amal et le Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Michel Aoun, exige la formation d'un gouvernement d'union au sein duquel elle aurait un droit de veto. Dans son discours, Nasrallah n'a pas ménagé ses critiques à l'encontre du Premier ministre qu'il a accusé d'avoir ordonné à l'armée libanaise de « couper les lignes d'approvisionnement en armes » des combattants du Hezbollah pendant la guerre de l'été contre Israël. Le commandement de l'armée a démenti ces accusations. Nasrallah a également accusé des membres de la majorité d'être intervenus auprès des Etats-Unis pour amener Israël à lancer son offensive contre le Hezbollah, dans le but d'obtenir son désarmement. Seul point positif, l'accueil a priori favorable réservé par Nasrallah à la proposition de la puissante église maronite de constituer un cabinet de ministres indépendants chargé de préparer une nouvelle loi électorale et une élection présidentielle anticipée. Le Conseil des évêques maronites du Liban, présidé par le cardinal Nasrallah Sfeir, a appelé, en effet, à la formation d'un gouvernement d'union nationale et à une élection présidentielle anticipée comme moyen de sortir le pays de la crise. Ils demandent aussi que « soit mis fin à la situation de la présidence de la République, boycottée aussi bien au niveau intérieur qu'international, en organisant une présidentielle anticipée ». La majorité parlementaire réclame le départ du président Emile Lahoud dont le mandat a été prorogé de trois ans en septembre 2004. L'initiative des évêques recommande aussi l'adoption du projet de tribunal international censé juger les assassins présumés de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri. Cette question est une des causes de la crise actuelle. Une commission d'enquête de l'ONU a mis en cause dans des rapports d'étape des responsables syriens et libanais dans cet assassinat. « Nous demandons au chef du pouvoir législatif Nabih Berri de réunir le Parlement susceptible de trouver une issue à la crise », ajoutent les prélats en estimant que « les manifestations, les grèves et les discours incendiaires ne résoudront pas les problèmes du Liban ». Aux origines de la crise se trouve le coup de force du président Lahoud pour une prolongation de son mandat alors qu'il n'en avait pas le droit. Ce qui est sûr par ailleurs, et beaucoup de Libanais en sont conscients, c'est que leur pays n'est pas l'Ukraine, une expression du président Lahoud excluant une révolution tranquille dans son pays. Quelle sortie de crise alors ?