Président illégitime », « majorité illusoire ». Les mots aussi acerbes soient-ils, fusent de part et d'autre. La seule crainte au Liban, c'est que cela aille au-delà du tolérable, c'est-à-dire de simples querelles même si elles portent sur des sujets d'une extrême sensibilité et engagent l'avenir du pays, que l'on sait marqué par un passé pas trop lointain. C'est le sens à donner au dialogue national qui n'avait pas d'objectif démesuré, sauf celui d'assurer la pérennité du Liban et lui éviter une nouvelle guerre. Et l'on se rend compte à la veille de sa reprise, aujourd'hui, que les chefs politiques avaient vu juste en cherchant à éviter le pire, c'est-à-dire que le face-à-face actuel soit résorbé sinon maintenu en l'état jusqu'à sa disparition par la voie dite légale, ou institutionnelle. D'un côté, c'est le président Emile Lahoud qui refuse de quitter son poste, et de l'autre, la nouvelle majorité parlementaire, très relative il est vrai, mais extrêmement combative. Les incidents entre les deux parties se multiplient au point d'être portés à l'extérieur. Cela sans compter la guerre intérieure comme le Conseil des ministres de jeudi dernier, transformé en joutes avec des échanges peu courtois. Le palais de Baâbda, siège de la présidence, a donné sa version de l'incident. Selon elle, tout cela était programmé par la majorité « illusoire ». Le palais évoque ensuite le « silence » de Fouad Siniora durant l'altercation, « signe qu'il savait au préalable ce qui allait se passer. Il n'est intervenu à aucun moment pour calmer les choses et a laissé le spectacle se poursuivre, et n'a empêché aucun ministre de quitter la salle ». Pour sa part, le conseiller pour la presse du palais de Baâbda, Rafic Chélala, a également affirmé que la majorité était « déterminée » à faire sauter le Conseil des ministres et « créer une crise politique qui déplacerait l'intérêt de l'opinion publique d'un sujet à l'autre ». Il a estimé qu'Emile Lahoud « appuie totalement le dialogue national », se demandant en outre quel pourrait être l'intérêt de montrer un Liban déchiré à l'étranger. C'est en tout cas l'image donnée au sommet arabe de Khartoum, où le Liban était représenté par deux délégations. Du jamais vu, aussi avant l'adoption d'une résolution soutenant la résistance libanaise. Emile Lahoud votait pour et Siniora contre. Aujourd'hui, il s'agit de recoller les morceaux. Et par conséquent surmonter les conflits et les positions de plus en plus opposées. Les partenaires du dialogue savent pertinemment qu'ils sont condamnés à un minimum. Tout d'abord, il est interdit d'arrêter le dialogue. Même si l'on croit, de moins en moins, à son issue positive. Avec cet avéré, une perspective revue à la baisse en ce qui concerne deux points : le sort de la Résistance et celui de la présidence de la République ne peuvent pas être réglés, du moins dans les délais convenus. Toutefois, le dialogue ne saurait se prolonger indéfiniment. Déjà, Saâd Hariri, le nouveau chef de la majorité parlementaire a posé comme délai ultime la fin du mois d'avril. C'est donc avec des positions bien plus tranchées qu'auparavant et dans un climat de grande tension que les participants au dialogue se retrouvent aujourd'hui. Avec en main les enseignements de l'aventure malheureuse - pour le Liban - de Khartoum, ainsi que ce qui s'est passé au Conseil des ministres. Les initiatives politiques et diplomatiques se multiplient pour assainir les relations entre Beyrouth, Damas et les Palestiniens prosyriens et créer un climat favorable à la reprise du dialogue. Ce qu'il convient de relever de la visite samedi à Beyrouth d'Ahmad Jibril, chef du FPLP-CG, une organisation palestinienne qui entretient des bases militaires au Liban hors des camps de réfugiés palestiniens. De son côté, la rencontre vendredi, entre le président égyptien Hosni Mobarak et Saâd Hariri a entraîné la reprise d'une médiation du secrétaire général du haut conseil libano-syrien, Nasri Khouri, pour préparer l'ordre du jour d'une visite du Premier ministre libanais, à Damas. M. Jibril a eu des entretiens avec M. Siniora et Saâd Hariri à l'issue desquels il a déclaré que « le chemin de Damas était pavé pour M. Siniora » et que le timing de la rencontre dépendait du Liban. En ce qui concerne la question de l'armement palestinien, il a réitéré la nécessité d'établir au préalable un climat de confiance. « Lorsque les Palestiniens seront rassurés, le dossier sécuritaire ne sera plus un problème », a-t-il dit. La résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée en 2004, exige le désarmement des combattants palestiniens afin que l'Etat libanais puisse exercer son autorité sur tout le territoire. Les Palestiniens ont posé en préalable l'amélioration des conditions de vie dans les camps de réfugiés et la reconnaissance des droits civiques et politiques de leurs habitants, notamment le droit à la propriété, au travail et à l'action politique. Pour montrer sa bonne volonté, le gouvernement libanais a délégué une commission ministérielle qui a visité des camps de réfugiés et a constaté la précarité des conditions de vie. En ce qui concerne les relations libano-syriennes, Ryadh et le Caire œuvrent pour porter la majorité parlementaire jusqu'à présent antisyrienne à dissocier les relations d'Etat à Etat des enquêtes sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et sur les autres assassinats politiques. La Syrie est pointée du doigt par une partie des dirigeants libanais et par les rapports d'étapes du précédent chef de la commission d'enquête de l'ONU. Des accusations rejetées par Damas, alors que se pose d'un autre côté, la normalisation des relations entre les deux voisins. Tout un programme.